Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/95

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qui nient et ceux qui croient. Chose singulière, ceux qui nient, pareils aux esprits forts, quand il s’agit de fantômes, se mettent dans l’imagination bien plus de diableries que les autres.

Ce qui était à la connaissance de tout le monde, c’est que M. Lecoq avait un passé mystérieux qui semblait ne point le gêner et possédait une influence considérable que nul ne savait définir.

— L’entreprise Beaufils, reprit Comayrol, mettant de côté tout d’un coup l’emphase un peu ironique de son débit, est l’achat d’une action de la maison qui commandite M. Lecoq.

— Quelle raison sociale a-t-elle, cette maison ? demanda le bon Jaffret.

— Elle n’a pas de raison sociale, répondit nettement Comayrol, mais son banquier est le baron Schwartz, et le chef de la boutique tient dans sa main des ficelles qui font gambader des princes !

M. Beaufils répondit à la muette interrogation de tous les regards tournés vers lui par une grave inclination de tête.

— Et quel est le prix de l’action ? demanda encore Jaffret.

— Un nom, et ce qu’il faut d’argent pour le soutenir pendant un temps donné, répliqua le maître clerc en scandant chacune de ses paroles.

La plupart des assistants crurent avoir mal entendu.

— Qu’est-ce que ce galimatias ? grommela Jaffret. Si on croit me soutirer ma part avec de semblables paraboles !…

— Tu auras ta voix, rien que ta voix, mon brave, l’interrompit Comayrol ; on votera quand j’aurai fini. Le prix de l’action est un nom, parce qu’il faut un nom pour former un centre.

— Un centre ! répéta Jaffret. Comprends pas !

Cette fois, le fretin de l’étude, Moynier, expéditionnaire, et les deux clercs hors rang parurent se rallier à l’avis du bon Jaffret.

— Nous avons le temps, mes petits, reprit le roi Comayrol avec un confiant sourire. Ne nous décourageons pas. Où est le malin qui a appris à lire du premier coup ?