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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/220

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L’AVALEUR DE SABRES

— À laquelle nous n’avons jamais appartenu ! intercala le Dr Samuel.

— C’est juste… Que le Père-à-tous, disais-je, s’appelle Annibal Gioja ou monsieur le marquis de Rosenthal. Voici dix heures qui sonnent à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, mes petits, je vais aller me mettre au lit.

Il planta son chapeau à large bord sur son bonnet de soie noire et se dirigea vers la porte, en s’appuyant sur sa canne.

Avant de passer le seuil il se tourna vers l’Italien et lui dit sans rien perdre de sa douceur ordinaire :

— Toi, mon fils, si tu m’en crois, marche droit !

La lourde main de Comayrol touchait en ce moment l’épaule de Gioja.

— Vayadioux ! dit-il en le regardant fixement. Marche droit, mon bonhomme ! S’il arrivait quelque chose au petit d’ici demain soir, tu serais haché menu comme chair à pâté.

Il sortit. Samuel l’imita et ne dit rien, mais son regard parla pour lui.

Vint enfin le fils de Louis XVII qui donna une poignée de main à l’Italien en lui disant :

— Il paraît que ta peau ne vaudrait pas deux sous si tu bougeais, ma vieille ! Nous avons enfin un homme.

Annibal Gioja resté seul se laissa choir sur le divan et mit sa tête entre ses mains.

— Il y a une affaire pourtant ! murmura-t-il, et ils n’iront pas me chercher jusqu’en Italie !


À cette même heure, on eût rencontré Similor et son fils Saladin marchant bras dessus, bras dessous dans les rues désertes qui sont au-delà du Luxembourg.

Saladin avait rejoint son honoré père en quittant le café Massenet, et avait bien voulu le féliciter sur la façon précise et adroite dont Similor venait de jouer son bout de rôle.

Ils causaient. Monsieur le marquis de Rosenthal, était, ce soir, d’une humeur expansive.

— Vois-tu, papa, dit-il en arrivant au bout de la rue de l’Ouest, je ne ferai qu’une seule affaire avec ces momies. Le vol n’est pas ma vocation. Ça peut servir de point de départ à un honnête homme, mais, en somme, il n’y a que le commerce. J’ai tout arrangé dans ma tête : trois mille livres de rentes suffisent à ton bonheur, pas vrai ?

— Mais…, voulut dire Similor.

— Faisons ton compte, interrompit Saladin : avec six cents francs de loyer, tu as un petit paradis, douze cents francs pour ta nourriture, quatre cents francs pour ta toilette, il te reste six cents francs pour l’argent de poche et la blanchisseuse. Si tu veux, tu feras des économies.

— Quand, toi, tu auras un million et demi ! s’écria Similor indigné.

— Moi, papa, c’est différent, répondit monsieur le marquis sans s’animer le moins du monde. Je pourrais avoir les deux autres millions et le reste, si je voulais, rien qu’en jouant le rôle de gendre. Je serais là comme un coq en pâte ; j’y ai songé ; ce qui m’arrête, c’est ma femme. Je suis né célibataire, vois-tu, on ne se fait pas… et d’ailleurs la situation ne peut pas se prolonger bien longtemps : cette Saphir nous jouera quelque méchant tour un de ces matins. Je ne parle pas du Gioja, mon pied est