sur sa tête, mais il y a Échalot et la Canada qui se remuent. Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud et enlever l’histoire d’un coup. Dans trois jours tout doit être fini, et alors mademoiselle Saphir pourra montrer sa cerise, la seule vraie et authentique, je m’en bats l’œil… Hé ! cocher !
Un fiacre passait qui s’arrêta.
— Papa, dit Saladin en enjambant le marchepied, rentre en te promenant ou monte sur le siège ; j’ai à causer avec moi-même.
Il s’installa au fond de la voiture et referma la portière sur le nez de l’auteur de ses jours.
XI
L’envie
La jeune modiste que Saladin avait montrée à son père Similor à travers les carreaux du magasin de modes de la rue de Richelieu s’appelait simplement Marguerite Baumspiegelnergarten (prononcez Bospigar), et avait reçu le jour quelque part en Germanie, d’où elles viennent par centaines, comme les clarinettes.
Nous savons que Similor lui avait trouvé un grand air de ressemblance avec mademoiselle Saphir. Il en était ainsi sauf la grâce et l’expression, et Marguerite Baumspiegelnergarten, plus connue sous le nom de Guite-à-tout-faire, était une fort jolie personne de dix-sept à dix-huit ans, qui en paraissait quinze.
Son nom de Guite-à-tout-faire n’avait pas absolument trait à ses mœurs, qui étaient celles d’une modiste ; il se rapportait surtout au grand nombre de métiers qu’elle avait essayés, malgré son jeune âge. Elle était adroite comme une fée et réussissait à tout ; mais, en même temps, elle était atteinte du péché de paresse à un tel degré qu’il lui était arrivé de se laisser souffrir de la faim pour ne point travailler.
Elle avait vendu des balais dans les rues, chanté aux carrefours, figuré dans les petits théâtres, cousu des chemises, piqué des bretelles et des bottines ; elle avait en outre trouvé moyen, au dire de ses ennemis, de passer quelques mois à Saint-Lazare.
Néanmoins, elle trouvait toujours à se placer, même dans les maisons honorables, parce que personne à Paris ne savait chiffonner comme elle, en deux tours de pouce, un chapeau à la chien.
Depuis quelque temps, monsieur le marquis de Rosenthal passait, à l’atelier, pour être l’amant de Guite-à-tout-faire.
Ces demoiselles ne trouvaient pas qu’il eût la touche exacte des jeunes héritiers du faubourg Saint-Germain mais elles lui accordaient de beaux cheveux bien peignés, et, quand son état de coulissier amateur fut connu, Guite reçut les félicitations de ses compagnes.
La coulisse a des charmes étranges pour ces demoiselles.
Quand on félicitait Guite, elle souriait ou elle rougissait, suivant son humeur du moment, mais il semblait toujours qu’elle eût un secret suspendu aux lèvres.