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LES SAXONS.

« Au rivage, on me mit en travers sur un cheval et l’on me couvrit d’un voile. Du lac au château de Montrath, mon œil reconnut plus d’un ami sur la route. Les pauvres gens regardaient mon cheval et sa charge mystérieuse ; ils eussent voulu soulever le voile qui me couvrait, mais mon escorte prononçait quelques paroles impérieuses : les pauvres gens touchaient leurs chapeaux, secouaient leurs haillons et passaient.

« Que n’ont-ils votre âme intrépide, Morris ! Ils sont forts et nombreux. Pourquoi leur cœur ne sait-il point rompre le charme fatal de l’esclavage !…

« Dans le manoir de Montrath, il se faisait grand bruit. C’étaient les apprêts du festin de départ. On me mit dans une chambre où il y avait déjà plusieurs pauvres filles du pays de Tuam et de Connemara, enlevées comme moi… Je reconnus Madeleine Lew du Claddagh, Molly Mac-Duff, notre voisine, et bien d’autres.

« Elles se tordaient les bras ; elles appelaient leurs frères et leurs fiancés ; elles pleuraient. Nous pleurâmes ensemble.

« Puis, quand vint l’heure du repas, on nous mit à table. Chacune de nous était entre deux hommes.

« Il y avait là, devant nous, sur une nappe