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DEUXIÈME PARTIE

plus fine qu’un voile de mariée, des mets dont j’ignorais le goût et le nom ; des liqueurs vermeilles rougissaient dans des flacons sans nombre, et les verres brillaient autour de la table comme les cristaux des grottes de Ranach.

« Je repoussai tous les mets, et ma lèvre ne se trempa dans aucune liqueur. J’étais comme engourdie par le désespoir.

« Mes compagnes, les pauvres filles, éblouies par l’éclat des lumières, enivrées par l’atmosphère chaude et parfumée qui régnait dans la salle, cessèrent de pleurer. Leurs verres s’emplirent et se vidèrent ; leurs joues pâles reprirent de vives couleurs. Et c’était pitié, Morris, de voir les pauvres victimes chanter et rire !

« Car elles riaient, car elles chantaient, oublieuses des larmes qui coulaient dans leurs chaumières…

« Elles ne songeaient point au désespoir de leurs mères. Ont-ils raison, ces Saxons cruels, lorsqu’ils disent que l’enfance de l’Irlandais dure autant que sa vie ?…

« Les pauvres filles étaient belles ! Les Saxons buvaient, buvaient sans cesse, et leurs yeux s’allumaient sur le rouge épais de leur face.

« Ce fut une longue orgie : des cris, des rires,