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Page:Féval - La Vampire.djvu/109

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LA VAMPIRE

jeune, ardente, lascive, dès qu’une chevelure vivante, humide encore de sang chaud, couvrait l’horrible nudité de son crâne.

Il regardait l’ébène ondoyant de ces merveilleux cheveux noirs qui couronnaient le front de Lila, ce front étincelant de jeunesse et de charme, et il se disait :

— Celles à qui la mort arrachait leurs chevelures étaient ainsi !

Et il frémissait.

Mais le frisson pénétrait jusqu’à la moelle de ses os, quand il avait cette autre pensée qu’il essayait en vain de chasser :

— Et la morte était ainsi également quand elle avait arraché leurs chevelures !

La morte ! la vampire ! tantôt brune, tantôt blonde, selon que sa dernière victime avait eu des cheveux de jais ou d’or ?

Lila versa dans les verres le contenu d’un flacon de tokay, topaze liquide qui remplit de fauves étincelles le cristal de Bohême aux exquises broderies.

Ils trempèrent ensemble leurs lèvres dans ce nectar, puis Lila voulut faire l’échange des coupes et dit :

— C’est mon pays qui produit cette liqueur des princes et des reines. À l’endroit où la Save, toujours chrétienne, va se perdre dans le Danube qui va finir, musulman, à Semlin, près de Belgrade, les jeunes filles chantent la ballade de l’Ambre, tandis que chaque amant cueille une perle de tokay sur la lèvre de sa maîtresse, dans un souriant baiser.

Une larme d’or tremblait sur le corail de sa bouche. René la but et il lui sembla que cette goutte d’ambroisie était l’ivresse même et la volupté.

Ses tempes battaient, son cœur se serrait en un spasme fait d’angoisses et de délices.

Il regarda Lila, dont les grands yeux languissaient altérés de caresses.

Elle était belle comme ces rêves du paradis oriental dont la vapeur d’opium ouvre les portes. Autour d’elle s’épandait un rayonnement surnaturel. Ses longues paupières laissaient sourdre d’étincelantes prières.

René luttait encore. Il essaya de prononcer le nom d’Angèle dans son âme.

Mais ce vin était la passion, l’oubli, la folie. Il brillait comme une flamme dans les coupes diamantées, comme une flamme il brûlait.

— Encore une perle sur tes lèvres, murmura-t-il, et puisse la fièvre adorée de ce beau songe n’avoir jamais, jamais de réveil !

Lila remplit les coupes de nouveau. De nouveau leurs bou-