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Page:Féval - La Vampire.djvu/108

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LA VAMPIRE

déjà, ce soir, et c’est pour vous, uniquement pour vous, à cet homme, que je ne connais pas, une partie des heures précieuses qui devaient être à nous tout entières : à nous, j’entends à notre amour ; je vous ai expliqué tout ce que vous vouliez savoir ; il n’y a plus pour vous de mystère dans l’étrange aventure de la maison isolée ou vous entendîtes pour la première fois parler des Frères de la Vertu… Et notez bien qu’en faisant cela, je ne vous ai point livré ma sœur. Ma sœur est de celle qu’on n’attaque pas sans folie. Quiconque irait contre elle serait brisé. Elle aussi a son étoile !

Elle frappa dans ses mains doucement et poursuivit :

— La confiance viendra quand vous aurez vu jusqu’où va pour vous ma tendresse. En attendant, plus un mot sur ces matières qui nous ont volé toute une soirée de bonheur. Minuit va sonner. Donnez-moi votre main, René, et mettons en action tous deux le beau refrain des étudiants de l’Allemagne : Réjouissons-nous pendant que nous sommes jeunes…

Tandis qu’elle parlait, une draperie s’ouvrait lentement, laissant voir une autre pièce où des bougies rosées épandaient une suave lumière.

Au milieu de cette seconde chambre, une table était servie portant une élégante collation.

Au fond, on voyait une alcôve entr’ouverte où le lit était demi-caché derrière les ruisselantes draperies de la mousseline indienne.

Deux sièges seulement étaient placés auprès de la table. Il y avait partout des fleurs et le feu doux qui brûlait dans l’âtre exhalait d’odorantes vapeurs.

Quand René franchit le seuil de cette chambre, Lila lui sembla plus belle.

Mais il y avait en lui je ne sais quelle crainte vague qui glaçait la passion. Le récit bizarre qu’il venait d’entendre miroitait aux yeux de sa mémoire. Lila avait conduit ce récit avec un charme que nous n’avons pu rendre, et cependant René restait tourmenté par un doute qui avait sa source dans l’instinct plus encore que dans la raison.

Chose singulière, dans ce récit, ce qui l’avait frappé le plus fortement, c’était l’épisode nuageux de la vampire.

René eût répondu par un sourire de mépris à quiconque lui aurait demandé s’il croyait aux vampires femelles ou mâles.

Et pourtant son idée ne pouvait le détacher de cette image saisissante, malgré son absurdité : la morte chauve, couchée dans ce tombeau depuis des siècles, et qui se réveillait