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Page:Féval - La Vampire.djvu/112

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LA VAMPIRE

René voulait fuir, mais son corps était de plomb.

Il voulait crier ; sa gorge n’avait plus de voix.

Elle se leva, — Lila, — faut-il encore la nommer ainsi ? Ses jambes, sonores comme celles d’un squelette, se choquèrent et produisirent ce bruit qui fige le sang dans les veines.

La chevelure tenait encore au sommet du crâne.

Elle s’approcha du foyer. La chevelure y tomba et rendit une noire fumée.

René ne vit plus rien, sinon une forme inerte, couchée en travers du tapis qui était devant l’âtre.

Une voix qui sortait on ne sait d’où, de partout, de nulle part, dit dans un cri d’agonie :

— Yanusza au secours !

La vieille femme qui parlait latin parut. Elle vint jusqu’au lit, ricanant et murmurant des mots incompréhensibles.

En passant, elle poussa du pied la masse couchée qui sonna le sec.

La vieille femme se pencha au-dessus de René et lui tâta brutalement le cœur.

— Pourquoi n’a-t-elle pas tué celui-là ? dit-elle.

Au contact de ces doigts rudes et froids, René fit un effort désespéré pour recouvrer l’usage de ses muscles ; mais il resta paralysé.

La vieille femme ôta le couvert sans se presser.

Puis elle, étendit la nappe sur le parquet et fit glisser en grondant la masse qui craquait jusqu’au centre de la toile, dont elle noua les quatre bouts.

Cela forma un paquet, bruyant comme un sac qu’on remplirait de jouets d’ivoire.

Elle le jeta sur ses épaules et se retira, courbée sous le fardeau.

L’avant-dernier bruit que René entendit fut celui du pêne forçant la serrure ; le dernier, le grincement de deux solides verrous que l’on fermait au dehors.

Quand René s’éveilla enfin, car il s’éveilla, il avait la tête lourde et toutes les articulations endolories, comme il arrive parfois après un grand excès de table.

Le soir précédent, pourtant, il n’avait rien mangé ; tout au plus avait-il vidé deux fois ce fameux verre de Bohême contenant l’ambroisie hongroise : le vin de Tokay.

Sa première pensée fut pour Angèle, et il eut comme une grande joie qui imprégna tout son être en sentant qu’il l’aimait autant qu’autrefois.

Sa seconde pensée fut pour Lila, et il ressentit, pendant le quart d’une minute, ce voluptueux affaissement qui avait été le commencement de son sommeil.