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Page:Féval - La Vampire.djvu/126

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LA VAMPIRE

pas de détours, pas de circonlocutions ! Que réclamez-vous ? Je vous écoute.

— Je viens, commença aussitôt Jean-Pierre, pour vous demander…

Mais M. Berthellemot l’interrompit d’un geste familier, qui formait avec la gravité un peu rogue de son maintien un contraste presque attendrissant ;

— Attendez ! attendez ! fit-il comme si une idée subite eût traversé son cerveau. Je perdrais cela ! Saisissons la chose au passage ! Par quel hasard, mon cher monsieur Sévérin, avez-vous vos entrées chez le premier consul ?… Il est bien entendu que, si c’est un secret, je n’insiste pas le moins du monde.

— Ce n’est pas un secret, répliqua Jean-Pierre. Il m’arriva une fois sous la Convention…

— Nous nous comprenons bien, mon cher monsieur Sévérin je ne vous force pas, au moins…

— Monsieur l’employé supérieur, interrompit Jean-Pierre à son tour, si ce n’était pas mon idée de vous répondre, vous auriez beau me forcer. Je ne dis jamais que ce que je veux.

— Un brave homme ! s’écria le secrétaire général avec une admiration dont nous ne garantissons pas la sincérité, un vrai brave homme… allez !

— Sous la Convention, continua Jean-Pierre, vers la fin de la Convention, et, s’il faut préciser, je crois que c’était dans les premiers jours de vendémiaire, an IV, — le 23 ou le 24 septembre 1795, — un jeune homme en habit bourgeois, d’aspect maladif et pâle, vint dans ma salle d’armes…

— Quelle salle d’armes ? demanda M. Berthellemot.

— J’étais marié depuis trois ans déjà, et j’avais mon petit garçon. Comme on n’avait plus besoin de chantres à Saint-Sulpice, dont les portes étaient fermées, je m’étais mis en tête de monter une petite académie dans une chambre, sur le derrière de l’hôtel ci-devant d’Aligre, rue Saint-Honoré. Mais ceux qui font aller les salles d’escrime étaient loin à ce moment-là, avec ceux qui vont à l’église, et je ne gagnais pas du pain.

— Pauvre monsieur Sévérin ! ponctua Berthellemot, je ne peux pas vous exprimer à quel point votre récit m’intéresse ?

— Ce jeune homme en habit bourgeois dont je vous parlais avait une tournure militaire.

— Je crois bien, mon cher monsieur Sévérin ! comme César ! comme Alexandre le Grand ! comme…

— Comme Napoléon Bonaparte, monsieur l’employé supérieur, on ne vous en passe pas ; vous avez deviné que c’était lui. Berthellemot fourra sa main droite dans son jabot et dit avec conviction :