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Page:Féval - La Vampire.djvu/143

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LA VAMPIRE

Le greffier-concierge de la Morgue secoua la tête lentement.

— En fait de suicide, prononça-t-il tout bas, personne ne peut être plus compétent que moi. De mes deux enfants, il n’y en avait qu’un seul pour avoir des raisons d’en finir avec la vie.

— René de Kervoz ?

— Non… Notre fille Angèle.

— Alors vous ne m’avez pas tout dit ?

Jean-Pierre hésita avant de répondre.

— Monsieur l’employé, murmura-t-il enfin, l’être mystérieux qui défraye en ce moment les veillées parisiennes, la Vampire, n’est ni goule, ni succube, ni oupire…

— La connaitriez-vous ? s’écria vivement Berthellemot.

— Je l’ai vue deux fois.

Le secrétaire général ressaisit précipitamment son papier et sa mine de plomb.

— Ce n’est pas de sang que la Vampire est avide, poursuivit Jean-Pierre. Ce qu’elle veut, c’est de l’or.

— Expliquez-vous, mon voisin ! expliquez-vous !

— Je vous ai dit, monsieur l’employé, que l’idée nous était venue de battre monnaie pour ces chères épousailles d’Angèle et de René. J’avais rouvert ma salle d’armes, et dès que ma porte de maître d’escrime s’entre-bâille seulement, les élèves abondent incontinent. Il en vint beaucoup. Parmi eux se trouvaient trois jeunes Allemands de la Souabe, le comte Wenzel, le baron de Ramberg et Franz Koënig, dont le père possède les grandes mines d’albâtre de Würtz, dans la forêt Noire. Tous ces gens du Wurtemberg sont comme leur roi : ils aiment la France et le premier consul. À l’exception des camarades du Comment…

— Comment ? répéta le secrétaire général.

— C’est le nom du code de compagnonnage de l’Université de Tubingen, où les Maisons moussues, les Renards d’or et les Vieilles Tours ont un peu le diable au corps.

— Ah ça ! ah ça ! fit Berthellemot, quelle langue parlez-vous là, mon voisin ? Je prends des notes. Petite parole ! M. le préfet n’y verra que du feu.

Je parle la langue de ces bons Germains, qui jouent éternellement trois ou quatre lugubres farces : la farce du duel, la farce des conspirations, la farce du suicide, et cette farce où Brutus parle tant, si haut et si longtemps de tuer César, que César finit par entendre et claquemure Brutus dans un cul de basse-fosse. Un jour que nous aurons le temps je vous conterai l’histoire de la Burschenschaft et de Tugenbaud, que vous paraissez ignorer…

— Comment cela s’écrit-il, mon cher monsieur Sévérin ?