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Page:Féval - La Vampire.djvu/164

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LA VAMPIRE

me payeras cela ! et quand je serai à la tête de l’administration, l’univers entier aura de tes stupides nouvelles !

La chanson dit que les gueux sont des gens heureux et qu’ils s’aiment entre eux, mais elle n’entend point parler de ceux qui nous administrent.

Si vous voulez voir de belles et bonnes haines, bien concentrées, bien vitrioliques, bien venimeuses, allez dans les bureaux.

Tout en songeant cependant et tout en minutant les ordres qui devaient lancer une armée d’agents sur la piste de Jean-Pierre Sévérin, dit Gâteloup, M. Berthellemot caressait dans sa pensée l’image de Mme la comtesse Marcian Gregoryi.

— Un joli brin ! se disait-il, petite parole ! On prétend que les vampires ont les lèvres gluantes de sang… celle-ci est une rose… Mais, après tout, il est bien sûr qu’un des deux ordres signés par le premier consul est faux… Si c’était le sien ?…

— Maintenant, s’il vous plaît, madame, reprit le préfet, assis auprès de la blonde adorable, poursuivons notre travail, en commençant par Georges Cadoudal…

— Non, l’interrompit la comtesse, il me faut d’abord l’arrestation de tous les Frères de la Vertu… S’il en reste un seul libre, je ne réponds plus de rien.

Elle tira d’un portefeuille en cuir de Russie, orné de riches arabesques, une liste qui était longue et contenait, entre beaucoup d’autres, plusieurs noms connus de nous :

Andréa Ceracchi, Taïeh, Caërnarvon, Osman, etc. En regard de chaque nom il y avait une adresse.

— Je viens de bien loin, dit-elle, et mon voyage n’a eu qu’un but : sauver l’homme dont la gloire éblouit déjà nos contrées à demi sauvages. La pensée de ce dévouement est née en moi au delà du Danube, dans les plaines de la Hongrie, où la ligue de la Vertu commence à recruter des poignards. Je suis entrée dans la sanglante association tout exprès pour la combattre. Je n’ignorais, en partant, aucun des périls de cette entreprise, ou mes trois plus chers amis ont perdu la vie : je parle du comte Wenzel, le brave cœur ; du baron de Ramberg, le brillant, le loyal jeune homme, et enfin de Franz Koënig, dont l’avenir semblait si beau…

Dubois ouvrit vivement le tiroir de son bureau et consulta une note.

— Comte Wenzel, murmura-t-il, baron de Ramberg… tous deux de Stuttgard… C’est la première fois que j’entends parler du troisième.

— Vous n’entendîtes parler des deux autres qu’une fois, monsieur le préfet, répliqua la comtesse avec mélancolie, et c’est moi qui fis parvenir à la préfecture la nouvelle de leur