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Page:Féval - La Vampire.djvu/165

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LA VAMPIRE

mort. Le troisième a partagé aujourd’hui même le destin de ses deux compagnons. Vous pouvez ajouter son nom à votre liste. Il était aussi de Stuttgard.

Les yeux du préfet étaient baissés, et ses sourcils se rapprochaient comme s’il eût laborieusement réfléchi.

— Sans eux, continua la comtesse, les chevaliers errants de la jeune Allemagne, j’aurais fait il y a un mois ce que je fais aujourd’hui. Je serais venue ici où l’on dénonce et j’aurais dénoncé. Mais Wenzel, Ramberg et Koënig avaient dit : Nous combattrons par nous-mêmes, et avec nos propres forces : nous écraserons la vampire…

— La vampire ! répéta M. Dubois étonné.

La comtesse Marcian Gregoryi eut un sourire.

— C’est un nom qui se prononce beaucoup dans Paris, dit-elle, je le sais. M. Dubois, l’homme de la raison, de la science et des lumières, M. Dubois à qui le futur gouvernement de l’empereur promet une si haute fortune, ne croit pas, je le suppose, à ces pauvres fables de l’Europe orientale… Le préfet de police de Paris ne croit pas aux vampires…

— Non… certes non ! balbutia Dubois. Mon éducation, mes connaissances…

— La vampire dont je parie, l’interrompit la comtesse Gregoryi d’une voix nette et ferme, c’est la société secrète qui s’intitule elle-même la ligue de la Vertu, et qui n’est qu’un faisceau des scélérats, unis dans la pensée d’un crime !

— Eh bien ! fit naïvement M. Dubois, je m’en doutais !

— Association de hiboux, poursuivit la belle blonde en s’animant, rassemblés dans la nuit pour arrêter le vol de l’aigle… ramassis de haines, d’envies ou de lâches ambitions… La vampire véritable, la ligue des assassins, a inventé l’autre vampire, la fausse, le monstre fantastique et impossible qui fait peur aux grands enfants de Paris. La fable était chargée de donner ainsi le change à ceux qui auraient voulu poursuivre la réalité… de même que cette comédie du quai de Béthune, la pêche miraculeuse, avait pour objet d’attirer l’attention publique loin, bien loin du charnier, hélas ! trop réel, où se décomposent les restes mortels de tant de victimes déjà immolées !

Dubois avait mis son front dans sa main.

— Cela explique tout ! murmura-t-il, et cela rentre dans une série d’idées que j’ai plus d’une fois soumises à l’épreuve de mon raisonnement… car rien ne m’échappe… rien, madame, et vous allez bien le voir tout à l’heure. Les personnes qui viennent ici, la bouche enfarinée, me dire : Prenez garde à vous ! attention à ceci ! attention à cela ! sont un peu dans le rôle de la mouche du coche.