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LA VAMPIRE

Il pensait à part lui :

— Il y a là quelque tour mémorable à jouer à M. le préfet.

La double escouade partit au pas accéléré. Une fois dans la rue, M. Berthellemot s’arrêta et appela :

— Monsieur Barbaroux ?

L’officier de paix s’étant approché, Berthellemot le prit à part :

— Dès longtemps, monsieur Barbaroux, lui dit-il avec majesté, les soupçons les plus graves étaient éveillés en moi au sujet de cette femme, malheureusement soutenue par de hautes protections. J’ai des rapports particuliers du nommé Ézéchiel, qui obéissait en aveugle à une direction intelligente donnée par moi. J’ai toutes les notes. Sans croire aux vampires, monsieur, je ne repousse rien de ce qui peut être admis par un scepticisme éclairé. La nature a des secrets profonds. Nous ne sommes qu’à l’enfance du monde… Je vous charge de veiller sur M. Sévérin adroitement et en vous gardant d’exciter sa défiance. Il a des relations… Si les événements tournent comme il est permis de le prévoir, nous aurons du mouvement à la préfecture, monsieur Barbaroux, et je ne vous oublierai pas dans le mouvement.

L’officier de paix ouvrait la bouche pour exposer brièvement ses droits à une place de commissaire de police, Berthellemot l’interrompit :

— Je prendrai des notes, dit-il. Vous me répondez de ce M. Sévérin… Vous ne me croiriez pas, monsieur, si je vous disais que toute cette intrigue est pour moi plus claire que le jour.

Il partit, ne joignant qu’Ézéchiel à son ancienne escorte. Charlevoy et Laurent restèrent en observation dans la rue Saint-Louis, sous les ordres de M. Barbaroux, qui murmurait :

— Toi, tu vois à peu près aussi clair que M. le préfet, qui voit juste aussi clair que moi, qui n’y vois goutte !

Cette prosopopée s’adressait à M. Berthellemot. Quand donc les subalternes comprendront-ils les mérites de leurs chefs ?

Dans la chambre sans fenêtres, Jean-Pierre Sévérin et son protégé Patou étaient penchés sur le sommeil de Kervoz.

— Comme il est changé ! murmura Jean-Pierre, et comme il a dû souffrir !

— Ces quarante-huit heures, répondit l’étudiant en médecine, ont été pour lui un long rêve, ou plutôt une sorte d’ivresse. Il n’a pas souffert comme vous l’entendez, patron.

— La sueur inonde son front et coule sur sa joue hâve.

— Il a la fièvre d’opium.

— Et ne peut-on l’éveiller ?