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LA VAMPIRE

— Il y a un petit endroit, là-bas, à mi-côte, de l’autre côté du bourg de Brech, que j’aurais voulu revoir. Chacun a quelque souvenir qui revient aux heures de péril, et m’est avis que la danse sera rude aujourd’hui… Elle me dit : Sois à Dieu et au roi, et je fis un serment, la bouche sur ses lèvres… J’avais seize ans… J’ai bien tenu ce que j’avais promis… Le capitaine répète souvent : Georges, si tu étais né dans la rue Saint-Honoré, tu crierais : Vive la république !… Mais, bah ! ceux de Paris radotent comme ceux de Bretagne. Le fin mot, qui le connaît ?…

Ma belle dame, s’interrompit-il, n’oubliez pas de prendre le couloir sur votre gauche : vous sortirez par la place Saint-Michel. Et si quelqu’un vous parle du citoyen Morinière, vous répondrez :

— Je n’ai jamais entendu ce nom-là.

Dans le sourire de la comtesse il y avait de l’admiration et du respect.

Georges poussa la porte et descendit l’escalier en chantant.

Aussitôt qu’il fut parti, la physionomie de la comtesse changea, exprimant un dur et froid sarcasme.

Au moment où Georges sautait dans le cabriolet, son cocher lui dit tout bas :

— La rue a mauvaise mine et tout le quartier aussi.

Le regard rapide et sûr du chouan avait déjà jugé la situation.

— Prends ton temps, mon bonhomme, dit-il en s’asseyant près du cocher. Tant qu’on fait semblant de ne pas les voir, ces oiseaux-là restent tranquilles… Ta bête est-elle bonne ?

— J’en réponds, monsieur Morinière.

Georges se mit à rire franchement et feignit de remonter d’un cran la capote du cabriolet.

— Rassemble, dit-il cependant à voix basse, et enlève ton cheval d’un temps… Ne manque pas ton coup… Tu vas enfiler la rue Monsieur-le-Prince comme si le diable t’emportait.

Il paraît que les gens de la police n’avaient pas même le signalement de Georges Cadoudal. Nous nous plaignons tous, plus ou moins, de nos domestiques, les chefs d’État ne sont pas mieux servis que nous.

Tout le long de la rue les agents se regardaient entre eux et hésitaient.

Le cabriolet était sur le point de s’ébranler, et George allait encore une fois passer comme la foudre au travers de cette meute mal dressée, lorsqu’à une fenêtre du premier étage, qui s’ouvrit doucement, juste au-dessus de lui, une femme parut, jeune, adorablement belle, donnant à la brise