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Page:Féval - La Vampire.djvu/236

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LA VAMPIRE

quent ; monseigneur, vous êtes beau ; monseigneur, vous ressemblez à un dieu, mais daignez abaisser un regard vers votre petite servante Addhéma, qui languit d’amour pour vous.

Le superbe Szandor la regarda en effet.

— Tu as droit à une nuit de plaisir, répliqua-t-il ; tu l’as achetée. Je suis ici pour gagner ce monceau d’or… Mais quand tu vas être morte, Addhéma, avec cet or j’achèterai un sérail de princesses ; j’éblouirai Paris, d’où tu viens, Londres, Vienne ou Naples la divine ; je disputerai Rome aux cardinaux, Stamboul au padischah, Mysore aux proconsuls malades de la conquête anglaise. Partout où je suis les autres vampires pâlissent et s’éclipsent…

Il y avait une lueur étrange dans les beaux yeux d’Addhéma.

— Un baiser ! Szandor, mon amant ! Un baiser ! Szandor, mon seigneur !

Le superbe Szandor concéda : il fallait bien que le marché fût accompli.

Les conteurs riverains de la Save disent que ce baiser, dont le prix était de plusieurs millions, fut entendu le long du fleuve, dans la plaine et au fond des forêts. L’amour des tigres fait grand bruit : c’est une bataille. Il y eut des hurlements et des grincements de dents ; les lueurs rouges s’agitèrent ? l’antique forteresse trembla sur ses fondements dix fois séculaires.

Puis, les deux monstres à visage d’anges restèrent immobiles, vaincus par la fatigue voluptueuse.

Le vin coula, mettant ses rubis sur leurs lèvres pâlies.

Le regard d’Addhéma brûlait sourdement.

— Conte-moi l’histoire de ces boucles d’or qui couronnent ton front, ma fiancée, dit Szandor réconcilié ; cette nuit, je te trouve belle.

— Toujours je te trouve beau, répliqua la vampire.

Elle appuya sa tête charmante sur le sein de son amant et poursuivit :

— Il y avait sur la route une belle petite fille qui demandait son pain. Je l’ai rencontrée entre Vienne et Presbourg. Elle souriait si doucement que je l’ai prise avec moi dans ma voiture. Pendant deux jours elle a été bien heureuse, et je l’entendais qui remerciait Dieu d’avoir trouvé une maîtresse si généreuse et si bonne. Ce soir, avant de venir, j’ai senti que mon sang refroidissait dans mes veines. Il me fallait être jeune et belle. J’ai pris l’enfant sur mes genoux, elle s’est endormie, je l’ai tuée…

Tandis qu’elle parlait ainsi, sa voix était suave comme un chant.