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LA VAMPIRE

Quand Yanusza fut partie, le docteur italien resta un instant immobile et pensif, puis il trempa une mouillette de pain dans la tasse de chocolat, qu’il repoussa aussitôt loin de lui.

— Tout a goût de sang ici ! prononça-t-il d’une voix sourde.

Depuis quelques minutes les paupières de René s’appesantissaient de nouveau et un sommeil irrésistible le cherchait.

Ces dernières paroles de l’Italien arrivèrent à son oreille, mais glissèrent sur son entendement.

Soudain un grand bruit se fit à l’intérieur de la maison. Ce n’était ni dans la serre ni du côté de la bibliothèque, René crut entendre un cri semblable à celui qui l’avait fait retourner en sursaut, la nuit précédente, quand il était caché dans les framboisiers devant la maison isolée.

Il essaya de combattre le sommeil, mais tout son être s’engourdissait de plus en plus, et il lui parut que le nègre qui s’était levé sur son séant dans la serre le regardait fixement.

C’était des yeux blancs du nègre que le sommeil venait.

Il arrivait comme un flux presque visible, cet étrange sommeil. René le sentait qui montait le long de ses veines et il éprouvait la sensation d’un homme qu’on eût lentement submergé dans un bain de vapeur d’opium.

Il gardait pourtant l’usage de ses yeux et de ses oreilles, mais pour voir, pour entendre des choses impossibles et celles que les rêveurs de l’opium en trouvent dans leur ivresse.

Deux hommes entrèrent dans la serre par une porte qui communiquait avec l’intérieur de la maison. Ils portaient un fardeau de forme longue qui donna à René l’idée d’un cadavre enveloppé dans un drap !

Le nègre se mit à sourire et montra la rangée de ses dents éblouissantes.

En même temps une vision, une délicieuse et rayonnante, vision, illumina la chambre, une femme au sourire adorable, que ses cheveux blonds, légers et brillantés de reflets célestes couronnaient comme une auréole, bondit par la porte de la bibliothèque.

— Le comte Wenzel vient de repartir pour l’Allemagne dit-elle.

René reconnut cette voix qui lui serrait si voluptueusement cœur. Le sommeil l’enchaînait de plus en plus. Les efforts impuissants qu’il faisait le fatiguaient jusqu’à l’angoisse et il pensait :

— Tout ceci est un cauchemar.

Ce nom du comte Wenzel le frappa. Il avait entendu