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Page:Féval - La Vampire.djvu/80

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LA VAMPIRE

ne fût point encore docteur, il guérissait à tort et à travers tous ceux qui lui tombaient sous la main.

Le surlendemain de la bagarre nocturne où René avait reçu ce coup sur le crâne, Patou vint le voir par hasard et René lui montra sa blessure, disant qu’il était tombé à la renverse en glissant sur le pavé.

La blessure portait encore le petit appareil posé pendant que René dormait dans la maison mystérieuse.

Patou n’eut pas plutôt aperçu la plaie qu’il s’écria :

— Il y avait là de quoi tuer un bœuf.

Il approcha vivement ses narines de l’appareil.

Arnica montana ! prononça-t-il dévotement : le vulnéraire du maître !… Mon camarade, vous avez été pansé par un vrai croyant : voulez-vous me donner son adresse ?

Dans son embarras, René raconta ce qu’il voulut ou ce qu’il put.

Pendant cela, Patou dépliait l’appareil.

C’était un mouchoir de batiste très fine, au coin duquel un écusson brodé se timbrait d’une couronne comtale.

— Tiens ! tiens ! fit Patou, avez-vous lu dans les gazettes l’histoire du tombeau de Szandor trouvé dans une île de la Save, au-dessus de Semlin ? C’est très curieux. Moi j’aime les vampires, et j’y crois dur comme fer. La mode y est, du reste : Il n’est question que de vampires. Les journaux, les livres, les gens parlent de vampires toute la journée. Je connais un homme qui fait aller les bateaux sans voiles ni rames, avec de la vapeur d’eau bouillante ; il a nom le citoyen de Jouffroy ; il est marquis et fou comme Samuel Hahnemann ; il fait un mélodrame intitulé : le Vampire. Le théâtre Saint-Martin en croulera ! Moi, je donnerais la perruque du professeur Loysel pour voir la vampire qui mange en ce moment la moitié de Paris… Revenons à notre affaire : dans le tombeau de Szandor, il y avait un vampire qui sortait la nuit, traversait la Save à la nage et désolait la contrée jusqu’à Belgrade. Ce vampire était comte, comme le prouve l’inscription du tombeau ; il a été enterré en 1646… Et voilà le drôle : le comte de Szandor avait la même devise latine que le citoyen comte de 1804, ou la citoyenne comtesse qui vous a prêté son mouchoir pour bander votre blessure.

Ce disant, Patou étala sur la table noire la batiste où les lettres brodées ressortirent en blanc.

La devise qui courait autour de l’écusson était, ainsi : In vita mors, in morte vita !

— Vraie devise de Vampire ! s’écria Patou. « dans la vie la mort, dans la mort la vie !… » Pour vous finir l’histoire du comte Szandor, après cent-cinquante-huit ans de séjour dans