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Page:Féval - La Vampire.djvu/81

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LA VAMPIRE

sa tombe, ce gentilhomme avait encore de très beaux cheveux noirs, des yeux en amande et des lèvres rouges comme du corail. Il lui manquait néanmoins une dent. On lui a planté une barre de fer rouge dans le cœur, méthode chirurgicale qui paraît adoptée généralement pour traiter le vampirisme… À leur place, moi, j’aurais causé un peu avec ce gaillard-là, pour savoir ce qu’il avait dans l’idée ; je l’aurais examiné de pied en cap ; je l’aurais soigné, parbleu ! par la méthode de Hahnemann, et il aurait pu, une fois guéri, nous raconter la guerre de Trente ans, de première main, sauf les deux dernières années…

Quand Patou fut parti, René prit le mouchoir brodé et l’approcha de ses lèvres.

Le lendemain, il reçut une lettre dont l’écriture inconnue lui fit battre le cœur.

Le large cachet de cire noire portait le même écusson que le mouchoir brodé et la même devise aussi : In vita mors, in morte vita.

Un malaise courut dans les veines de René, puis il sourit orgueilleusement, pensant :

— Ces superstitions ne sont plus de notre temps.

La lettre disait :

« On souhaiterait savoir des nouvelles d’une blessure qui a donné le sommeil au blessé, mais à une autre l’insomnie.

« Ce soir, à six heures, on priera pour le blessé au calvaire de Saint-Roch. »

Point de signature.

La lettre avait été remise par un étrange messager : un nègre, portant le costume des musiciens de la garde consulaire.

La journée sembla longue à René, — et, pour la première fois, ceux qui l’aimaient s’aperçurent de son trouble.

Dès cinq heures il était au perron de Saint-Roch. Il attendit en vain jusqu’à six heures la voiture qu’il espérait reconnaître.

Six heures sonnant et, de guerre lasse, il traversa l’église pour gagner le Calvaire qui est derrière la chapelle de la Vierge.

Là il y avait une femme agenouillée devant le mystique rocher.

René s’approcha. Un imperceptible mouvement se fit sous le voile baissé de la femme, qui ne se retourna pas.

Dans ce demi-jour, dévot et moite comme le clair obscur savamment distribué par le grand art des peintres de piété, cette femme, dont la toilette sévère et sombre laissait donner des formes exquises, faisait bien. Elle entrait dans le tableau.