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LA VAMPIRE

rencontres fugitives entre René et son inconnue, Angèle était là, quelque part, l’œil brûlant et sec, la poitrine oppressée.

Elle cherchait à savoir.

Si elle savait quelque chose, jamais, du moins, un seul mot n’était tombé de sa bouche. Elle était muette avec ses parents, muette avec son fiancé.

Elle lui donnait toujours l’enfant à baiser, l’enfant qui, lui aussi, devenait maigre et pâle.

Mais quand elle restait seule avec la petite créature, elle lui parlait longuement et à cœur ouvert, sûre qu’elle était de n’être pas entendue.

Elle lui disait :

— L’heure du mariage est proche, mais qui de nous l’entendra sonner ?

À mesure que les jours passaient, cependant, et par un singulier travail que tous les psychologistes connaissent, René acquérait une perception rétrospective plus nette des événements confus qui avaient empli cette fameuse nuit du 12 février.

L’impression générale était lugubre et pleine de terreurs qui se continuaient jusqu’à la journée du 13, passée dans cette maison qui avait un grand jardin et une serre.

Dans la serre, René voyait de plus en plus distinctement le trou carré, les deux hommes apportant un fardeau ayant forme humaine et le noir fumant son cigarite sous les arbustes en fleurs.

Et il entendait la voix de femme qui disait avec une froide moquerie :

— Le comte Wenzel est reparti pour l’Allemagne !

Nous ne savons comment exprimer cela : dans la pensée de René, cette phrase avait un sens double et funèbre.

Et ce paquet de forme oblongue, qu’on avait jeté dans le trou, c’était le comte Wenzel.

Si les choses eussent été comme autrefois, si René de Kervoz avait passé encore ses soirées à causer dans la maison de son futur beau-père, le patron des maçons du Marché-Neuf, il aurait entendu plus d’une fois prononcer ce nom de Wenzel ; il aurait pu prendre des renseignements précieux.

Car on parlait souvent du comte Wenzel chez Jean-Pierre Sévérin, dit Gâteloup. Le comte Wenzel faisait partie d’un trio de jeunes Allemands, anciens étudiants de l’Université de Tubingen.

Il y avait Wenzel, Raniberg et Kœnig : trois amis, jeunes, riches, heureux.

Mais René ne causait plus chez les parents d’Angèle.

Il venait là chaque jour comme on accomplit un devoir.