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LA VAMPIRE

Il souffrait, voyait souffrir les autres et se retirait désespéré. L’idée d’un meurtre commis était donc en lui à l’état confus.

Nous irons plus loin : nous dirons qu’en lui existait l’idée d’une série de meurtres. L’impression qu’il gardait était ainsi. La trappe cachée sous les caisses de fleurs avait dû servir plus d’une fois.

Et c’était là l’excuse la plus plausible qu’il pût fournir à sa conscience pour le désir passionné qu’il avait d’entretenir son inconnue.

Pour lui, en effet, la maison mystérieuse contenait deux femmes, la blonde et la brune : il les avait vues de ses yeux : « la comtesse » et celle qui n’avait point de titre, la femme sanglante, à qui tous les crimes incombaient naturellement, si crime il y avait, et l’ange sauveur.

La veille du jour où nous avons pris le début de notre histoire, montrant ces trois personnages échelonnés sur le quai de la Grève : René d’abord, puis Angèle qui suivait René, puis l’homme à cheveux blancs qui suivait Angèle, René avait éprouvé comme un contre-coup de l’émotion ressentie dans la maison mystérieuse.

C’était encore à Saint-Louis-en-l’Ile, et c’était la première fois que son inconnue manquait au rendez-vous assigné.

René attendait depuis plus d’une heure, lorsque le jeune homme à figure blême, qui avait les cheveux tout blancs, sortit de la sacristie avec un prêtre que René voyait pour la première fois.

Un ecclésiastique entre deux âges, à la physionomie honnête et grave.

La figure du jeune homme frappa René comme un choc physique, et le nom entendu en rêve lui vint aux lèvres :

— Andréa Ceracchi !

Andréa Ceracchi passa, avec le prête, tout auprès de René, qui était caché par l’ombre d’un pilier et dit :

— Elle viendra demain. La chose devra être faite tout de suite, parce que M. le baron de Ramberg est très pressé de retourner en Allemagne.

Ces paroles et le ton qu’on mettait à les prononcer étaient assurément les plus naturels du monde.

Cependant, au-devant des yeux de René, la trappe s’ouvrit, la trappe recouverte de fleurs, et il lui sembla entendre le lugubre écho de ces autres paroles : « Le comte Wenzel est reparti pour l’Allemagne ! »

— Il faudra bien qu’elle dise la vérité ; pensa-t-il.

Et le lendemain, comme nous l’avons vu, il revint à l’église Saint-Louis-en-l’Île.

Rendez-vous n’avait point été donné cette fois.