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LA VAMPIRE

« Un jour pour un an, vingt-quatre heures pour trois cent soixante-cinq jours.

« À la dernière minute de la dernière heure, la chevelure meurt, le charme est rompu, et la hideuse sorcière s’enfuit, vaincue, dans son caveau… »

Ma sœur était dans sa seizième année et j’allais avoir quinze ans, quand notre père arbora la bannière rouge au plus haut des tours de Bangkeli. En même temps, il envoya ses tzèques dans les logis de ses tenanciers, le long de la rivière ; ils étaient quatre, l’un portait son sabre, le second son pistolet-carabine, le troisième son dolman, le quatrième son jatspka.

Le soir, il y avait douze cent hussards équipés et armé autour de nos antiques murailles.

Mon père nous dit : prenez vos hardes, vos bijoux et vos poignards.

Et nous partîmes, cette nuit-là même, en poste pour Trieste.

Le régiment, — les douze cents tenanciers de mon père formaient le régiment des hussards noirs de Bangkeli, — avait pris la même route à cheval. Le rendez-vous était à Trévise.

L’archiduc Charles d’Autriche occupait Trévise avec son état-major. Bonaparte avait accompli déjà les deux tiers à cette foudroyante campagne d’Italie qui devait finir au cœur même de l’Allemagne. Notre armée avait changé quatre fois de chef et reculait, ne comptant plus les batailles perdues.

Pourtant il y eut des fêtes à Trévise, où douze nouveaux régiments, arrivés du Tyrol, de la Bohême et de la Hongrie, présentait un magnifique aspect, et le prince Charles jura d’anéantir les Français à la première rencontre.

Ma sœur et moi nous n’avions jamais vu que les rives sauvages de la Save et l’austère solitude du château. Pendant trois jours ce fut pour nous comme un rêve. Le quatrième jour, notre père dit à ma sœur : « Tu vas être la femme du comte Marcian Gregoryi. »

Ma sœur n’eut à répondre ni oui ni non ; ce n’était pas une question : c’était une loi.

Marcian Gregoryi avait vingt-deux ans. Il portait héroïquement son brillant costume croate. La veille même, le prince Charles l’avait fait général. Il était beau, noble, plus riche qu’un roi, amoureux et heureux.

Ma sœur et lui furent mariés le matin du jour où Bonaparte franchissait le Tagliamento ; le lendemain eut lieu la grande bataille qui tua l’archiduc dans ses espérances et dans sa gloire, en ouvrant aux Français le passage du Tyrol.

Nous fûmes séparées de notre père. Le comte Marcian Gregoryi veillait sur nous.