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LA VAMPIRE

courtisane d’autrefois, avec sa passion de feu et son attrait irrésistible.

Ici était le don.

Je vais vous dire la condition imposée en regard du don : la loi qu’elle ne pouvait enfreindre sous peine de souffrir mille morts.

Addhéma ne pouvait pas se livrer à un amant avant de lui avoir raconté sa propre histoire.

Il fallait qu’au milieu d’un entretien d’amour elle amenât l’étrange récit que je vous fais ici, parlant de jeunes filles mortes, de chevelures arrachées et relatant avec exactitude les bizarres conditions de sa mort qui était une vie, de sa vie qui était une mort…

J’emploie le passé, parce qu’elle manqua une fois à la loi de ses hideuses résurrections ; et ce fut justement pendant qu’elle portait la blonde chevelure de notre mère. L’amour lui fit oublier son étrange devoir. Elle reçut le baiser d’un jeune Serbe, beau comme le jour, avant d’avoir cherché et trouvé l’occasion de placer l’histoire surnaturelle.

L’esprit du mal l’étreignit au moment où elle balbutiait des mots de tendresse, et le jeune Serbe recula d’horreur à la vue de sa maîtresse rendue à son état réel : un cadavre de vieille femme, décharné, glacé, chauve et tombant en poussière.

Ce fut d’elle-même, alors, qu’elle se révéla, car, à ces heures du châtiment, tout vampire est forcé de dire la vérité.

Le Serbe entendit ces mots qui semblaient sortir de terre :

— Tue-moi ! Mon plus grand supplice est de vivre. L’heure est favorable, tue-moi. Pour me tuer, il faut me brûler le cœur !

Le deuil récent qui était dans la maison du magnat de Bangkeli, laissant un époux inconsolable et deux petits enfants au berceau, avait fait grand bruit dans le pays. Le Serbe monta à cheval et vint trouver notre père au milieu des fêtes des funérailles.

Notre père prit avec lui tous ses parents, tous ses convives, et l’on se rendit au tombeau d’Uszel, car le cadavre de la vampire n’était déjà plus dans le logis du Serbe.

Le tombeau d’Uszel fut démoli, et notre père ayant fait rougir au feu son propre sabre, le plongea par trois fois et par trois fois le retourna dans le cœur d’Addhéma la Bulgare.

Nous grandîmes, ma sœur et moi, dans le château triste et qui semblait vide. Les caresses maternelles nous manquaient, on nous berçait avec le récit de ces lugubres mystères.

Il y avait un chant qui disait :