Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/103

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L’Arbre Verdoyant était le rendez-vous principal et officiel des sectateurs du Comment. La Landsmannschaft s’y réunissait à poste fixe, et, quand les députés de l’une des trente-six universités d’Allemagne avait une communication à faire à la Doyenne (tel est le titre de l’université de Heidelberg), c’était à l’Arbre Verdoyant qu’ils étaient reçus avec toute la pompe convenable.

Il est vrai de dire que l’Arbre Verdoyant n’avait encore renversé aucun tronc, et qu’aucun tyran n’avait vu, par le fait de ses habitués, les sombres bords ; — mais la Sainte-Alliance ne perdait rien pour attendre. — La Landsmannschaft de l’Arbre Verdoyant fumait tant et de si grosses pipes, déclamait tant de harangues romaines, chantait de si longues chansons et buvait tant de bière, que les têtes royales avaient grande peur d’elle et frémissaient, sous leurs dais de velours, au seul nom de maître Elias Kopp, arbiter elegantiarum

C’était ce soir même où Regnault, Mosès et le Madgyar chevauchaient de compagnie vers le schloss de Bluthaupt ; — et c’était l’heure à peu près où le chevalier, séparé de ses deux acolytes, s’arrêtait sur le sentier de la montagne pour attendre monsieur le vicomte d’Audemer.

La nuit venait de tomber ; la grande salle de l’Arbre Verdoyant contenait déjà nombreuse compagnie, et voyait à chaque instant s’augmenter la foule de ses hôtes. — Ceux qui entraient ainsi ne frappaient point à la porte qui était fermée pourtant. Ils poussaient du pied un bouton de bois, placé au ras de terre, et le lourd battant tournait sur ses gonds sans autre effort.

Cela donnait à la réunion une précieuse couleur de mystère, et réellement, un profane eût pu s’escrimer longtemps contre la robuste porte, sans parvenir à l’ébranler.

Il fallait avoir le secret.

Le temps était froid ; on avait clos toutes les fenêtres pour garder l’assemblée contre le vent du dehors, et aussi contre les longues oreilles de la police bavaroise.

Car la terreur inspirée aux souverains par la ligue des camarades est quelque chose de réel, et donne une sorte de sérieux aux conciliabules tragi-comiques des étudiants d’Allemagne.