Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/102

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— On surprenait des mots grecs, glissant entre les lèvres vermeilles de quelque jolie jung-frau !

Et la politique, grand Dieu ! — Tandis que la valse gracieuse ondulait autour de la salle, les docteurs dissertaient impitoyablement sur les droits de l’homme, sur le libre arbitre, et sur l’avantage qu’il y aurait à voir l’empire gouverné par un sénat de professeurs. — Un grand nombre de jeunes garçons, à la figure longue et niaise, les écoutaient bouche béante.

D’autres, portant des têtes fatales sur leurs cols de chemises amplement rabattus, traduisaient en germain d’innocentes tirades des tragédies de Voltaire, et comptaient les souverains que leur poignard était appelé à exterminer.

Les bals de maître Elias Kopp, propriétaire de l’Arbre Verdoyant, avaient une grande et légitime renommée. Les docteurs affirmaient volontiers que ces fêtes décentes adoucissaient, autant qu’il le fallait, la rudesse des anciennes mœurs universitaires. Les filles des docteurs n’avaient garde de contredire cette assertion, et rougissaient de plaisir rien qu’à la pensée des valses solennellement promises pour le mardi suivant.

Les bons effets des bals de l’Arbre Verdoyant ne pouvaient être mis en doute que par les suppôts de la Sainte-Alliance ; et le docteur Edgard Laquedem, novateur farouche, qui avait bravé vingt fois l’échafaud, aurait soutenu, sans contredit, une thèse sur l’influence civilisatrice de la valse, sans la crainte qu’il avait du roi de Prusse et du tyran moscovite.

Les autres jours de la semaine, l’Arbre Verdoyant perdait un peu de son aspect galant.

Dès le mercredi matin, la salle reprenait bien vile sa physionomie de cabaret, l’arbiter elegantiarum présidait lui-même à l’arrangement des tables qui allaient bientôt se couvrir de choppes de bière et de cruches de vin blanc.

Le soir venu, la pure atmosphère, embaumée la veille par le souffle des filles du doctorat, se changeait en un épais brouillard. Le tabac remplaçait l’ambroisie ; les galants cavaliers de la soirée précédente se transformaient sans trop d’efforts en étudiants ivres, buvant pour boire et fumant pour s’engourdir.