Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/113

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Leur vie, depuis lors, avait été bien errante. Nul ne savait au juste le secret de leurs longs voyages. Il était seulement à la connaissance de tous qu’une triple note de proscription, émanée des cours de Vienne, de Berlin et de Munich, était suspendue au-dessus de leurs têtes.

Cette persécution s’adressait sans doute aux trois adolescents hardis qui s’étaient mis en avant dans toutes les émeutes universitaires ; mais elle s’adressait davantage encore aux trois fils du comte Ulrich de Bluthaupt, l’ardent ennemi du pouvoir, dont les efforts avaient fait trembler un instant de puissants personnages.

Les trois frères revenaient avec cette auréole de proscrits qui remue si infailliblement la fibre allemande. La communauté de Heidelberg les accueillait comme des amis chers, et comme des martyrs de la cause de tous.

Ils étaient malheureux maintenant, eux, qu’on avait vus si pleins d’espoir et de joie.

Albert gardait sa gaieté fanfaronne, Goëtz sa paresseuse insouciance ; — mais la souffrance avait mis de graves pensers sur le jeune front d’Otto, qui était le premier parmi ses frères.

Et les camarades, qui l’avaient aimé enfant, contemplaient avec une sorte de respect triste cette maturité anticipée.

Otto releva les yeux, qui se fixèrent sur le vide fumeux de la salle.

— Pauvre sœur, murmura-t-il, — elle essayait de sourire, et des larmes coulaient sur sa joue… Il lui fallut arracher le secret de ses craintes… Le vieux Gunther avait eu connaissance du testament qui nous faisait tous les trois comtes de Bluthaupt et riches… Son avarice s’était irritée ainsi que son aveugle orgueil… Il avait menacé…

« La pauvre Margarethe tremblait… Ce vieux schloss est si sombre, et tant de lugubres pensées nagent dans l’atmosphère froide de ses grandes salles !… Elle tremblait, et les paroles tombaient une à une de sa lèvre pâlie… Mes frères et moi, nous nous consultâmes du regard : quand il s’agit de notre Margarethe, nous ne pouvons avoir qu’une seule pensée… Je tirai de mon sein le testament du comte Ulrich et je le déchirai… »

Dietrich et Michaël tendirent en même temps la main au bâtard.