Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/114

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— Vous êtes un digne cœur, Otto ! dirent-ils ; tôt ou tard, Dieu vous fera heureux !

Otto secoua la tête lentement.

— Mes frères et moi, nous sommes forts, répliqua-t-il, et nous savons souffrir… S’il est encore en ce monde du bonheur pour le sang de Bluthaupt, que Dieu le donne tout entier à Margarethe et à Hélène !… Mais buvons, ajouta-t-il en changeant tout à coup de ton : — c’est mal agir que de rapporter à de bons amis, après l’absence, un visage soucieux et des paroles de tristesse… À la santé des hommes libres de l’Allemagne !

Goëtz éleva de loin son verre et répéta le toast.

— Il y avait longtemps, dit Albert à demi-voix, que mon frère Otto n’avait prononcé un mot si sage !

— Allons, reprit Goëtz, en s’adressant à ses partners ; — jouons sur parole, puisque je n’ai plus rien… Et, à ce propos, qui d’entre vous nous donnera l’hospitalité pour cette nuit ?

De tous les coins de la salle, des voix s’élevèrent pour réclamer cet honneur. — l’arbiter elegantiarum lui-même déclara qu’il mettait sa plus belle chambre à la disposition des trois frères.

Albert caressa sa lèvre qui attendait encore la moustache désirée.

— Du diable ! dit-il à demi-voix, — je n’avais besoin, moi, de l’hospitalité de personne… et je sais une jolie bourgeoise au-dessus de l’Oberthor…

La voix d’Otto interrompit sa vanterie.

— Il faut penser à nous retirer, disait-il. — Demain, nous devons nous mettre en route de grand matin, pour aller embrasser notre sœur Margarethe, il y a loin de Heidelberg à Bluthaupt !

— Surtout à pied ! murmura le malheureux Goëtz, qui venait de perdre l’argent des chevaux de poste.

Otto se leva et offrit sa main à ses compagnons. — Au moment où il ouvrit la bouche pour prendre congé, on frappa doucement à la porte extérieure de la taverne.

Toutes les conversations prirent fin aussitôt. Il se fit dans la salle un silence absolu.

— C’est quelqu’un qui n’a pas le secret !… murmura le poëte, dont le visage exprima une subite inquiétude.