Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/140

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plus d’un vieux juif se souvenait l’avoir vu venir souvent dans un équipage assez modeste chez le prêteur Mosès Geld.

En ce temps-là, la pauvre maison de Mosès recevait aussi la visite de quatre ou cinq personnages qui étaient devenus, suivant la croyance commune, des hommes d’importance en d’autres pays.

On se souvenait d’un jeune Français, appelé Regnault, de Van Praët, le Hollandais, et de José Mira, l’ancien médecin en titre de la maison de Bluthaupt.

Une remarque était à faire, c’est que tous ces gens étaient devenus riches à peu près en même temps, et que, cependant, Mosès Geld avait acheté tout seul, à fonds perdu, les grands biens du comte Gunther, dans le Wurtzbourg.

Les épilogueurs de la Judengasse s’étaient posé à cet égard, depuis vingt ans, d’innombrables questions. Ce qui était certain, c’est que, sur les six personnages devenus riches, ainsi tous à la fois, cinq avaient quitté successivement l’Allemagne. — Des bruits couraient à ce sujet ; on disait que, depuis la mort du dernier comte de Bluthaupt, ils étaient en butte à une guerre mystérieuse et acharnée. La plupart d’entre eux, en diverses occasions, avaient risqué de perdre la vie, et leur éloignement était une fuite véritable.

On savait vaguement que leurs adversaires étaient les trois bâtards de Bluthaupt, qui n’avaient pas récolté un ducat de l’immense héritage de leur famille.

Au premier aspect, c’était là des ennemis peu redoutables. Ils étaient proscrits, depuis des années, par les gouvernements de la confédération germanique, et ne pouvaient point se montrer à découvert.

Cette proscription, qui datait de si longtemps, avait été maintenue, grâce au crédit de Zachœus Nesmer et de ses associés.

Mais les trois bâtards avaient su éluder bien des fois l’ostracisme qui pesait sur eux. Ils étaient plus souvent en Allemagne qu’ailleurs. Dans toutes les villes, sur leur passage, quelque porte hospitalière s’ouvrait pour leur donner asile et les cacher aux yeux trompés de la police. — C’étaient trois hommes résolus et forts ; leurs ennemis, puissants et riches qu’ils étaient, avaient éprouvé l’insuffisance des protections légales. Za-