Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/160

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Çà et là, un monsieur à lunettes, dont le frac bourgeois dissimulait mal un officier de la garde civique, conduisait par la main un vilain petit garçon habillé en artilleur. Ce petit garçon rendait malheureux tous les enfants qui n’avaient pas des costumes de zouaves ou de montagnards écossais.

Plus loin, c’était ce couple aristocrate qui méprise les joies du populaire et vient se mêler à la foule tout exprès pour insulter à ses plaisirs, ce couple que chacun connaît : un gentilhomme et un artiste ; l’un chevelu comme un Sicambre, l’autre tondu comme un rat, tous deux fades, vides, oisifs et contempteurs effrénés de la bourgeoisie.

Ils étaient là comme ils sont partout : bâillant, gênant le passage, et s’étonnant tout haut de se trouver parmi ces gens de peu.

Ils se donnaient le bras. Le gentilhomme est peut-être bien devenu marquis depuis ; mais c’était tout bonnement alors M. le comte de Mirelune, gros réjoui, plein de verve et de mots, suzerain d’un cheval, amant de l’actrice qui était à la mode l’an passé, se faisant habiller à Londres, et possédant quelque teinture de la boxe française.

Charmant, d’ailleurs, et remarquable échantillon de notre jeunesse dorée : cinquante ans et demi, cheveux blonds crépus, ventre insolent, bras courts, pieds nourris, plaisant aux femmes de chambre et parlant dix-sept mots de l’anglais le plus pur.

Personne n’ignore ce gentilhomme. L’artiste est plus célèbre encore. Ce n’était rien moins qu’Amable Ficelle, l’auteur de la Bouteille de Champagne et de cent autres vaudevilles bien amusants. Alors comme aujourd’hui, Ficelle avait une figure jaune et plate, couronnée par deux douzaines de cheveux souffrants, des yeux endormis, un nez grave et une toilette mélancolique. Il traversait la vie, cherchant des calembours tristement, et jetant ses dédains aux propriétaires.

Ils allaient tous les deux contents de leur supériorité. La foule les regardait assez. Les filles de boutique disaient : Ce sont des soignés. Leurs mouchoirs, infectés d’eau de Cologne, jetaient de véhéments parfums aux mercières reconnaissantes.

Quand ils étaient passés, les républicains fronçaient le sourcil et les montraient du doigt à leurs femmes, en murmurant des paroles féroces…