Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/161

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On se disputait, du reste, passablement le long des boulevards ; quelques coups de poings étaient échangés entre les gens vifs, et la grave autorité des municipaux ramassait de temps à autre un mauvais sujet, ivre comme un père de famille.

En somme, toutes ces bonnes gens avaient l’air de s’ennuyer démesurément ; mais c’est leur manière de se divertir.

À l’embouchure de toutes les voies principales qui coupent le boulevard, le flot se rompait. Une partie de la foule descendait dans la ville, tandis que le reste poursuivait sa promenade moutonnière.

Paris a des endroits privilégiés qui appellent la cohue. On s’y écrase dès qu’on se presse un peu ailleurs. De tous ces endroits, le plus propice est le carrefour formé par le faubourg du Temple, la rue du même nom et les boulevards. Il y a là dix théâtres, vingt restaurants et un corps de garde : tout ce qu’il faut pour constituer un étouffoir complet.

Il était bientôt quatre heures du soir. Tous les estomacs, alléchés dès le matin par la pensée d’un dîner d’extra, dirigeaient les jambes fatiguées vers l’odeur des cuisines prochaines. Le passage était littéralement obstrué. Les promeneurs arrivant de la Madeleine, heurtaient ceux qui venaient de la Bastille ; les ouvriers qui descendaient le faubourg, se trouvaient face à face avec les commis et les petits marchands qui remontaient des profondeurs de la vieille ville, après leur journée finie, et qui se hâtaient pour prendre leur part de la fête.

Le peu de masques répandus naguère sur toute la ligne des boulevards, semblaient s’être donné rendez-vous en ce lieu. Ils gênaient la circulation des voitures, et le désordre était augmenté par les municipaux à cheval, qui ne savaient auquel entendre et brisaient çà et là quelque membre, pour ne point rester tout à fait oisifs.

Parmi la longue ligne des voitures que l’embarras rendait stationnaires depuis le Château-d’Eau jusqu’à la porte Saint-Martin, il y avait un fiacre dont la portière ouverte donnait passage à la tête d’un homme qui regardait à chaque instant du côté du carrefour, et semblait gourmander l’impuissance de son cocher.

Au bout de quelques minutes d’attente, cet homme sauta sur le pavé, paya la course, et s’engagea dans la foule qui encombrait le trottoir.