Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/236

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méraires siégeaient au Palais-Bourbon. Quant aux dignitaires des bureaux, ils avaient leurs noms à l’almanach Bottin, et au-devant de leurs noms, deux ou trois signes d’imprimerie indiquant les décorations les plus flatteuses.

Là, tout inspirait la confiance, tout avait un aspect rangé, calme et digne. Les bottes vernies criaient sur le plancher ciré. L’œil, ébloui par les cravates blanches, se mirait avec délices dans les lunettes vertes.

Les doigts des caissiers étaient de velours ; les écus, comptés lestement, rendaient une harmonie honnête et discrète.

Tout ce qui tient de près ou de loin à la banque parisienne a gardé sans doute un souvenir pieux à la maison Geldberg, Reinhold et compagnie. Dans le fond du cœur, chacun s’associera aux éloges assurément incomplets que l’on accorde ici à ce comptoir recommandable.

En 1844, la maison était gérée par le jeune M. Abel de Geldberg, concurremment avec deux associés principaux : le chevalier de Reinhold et un riche médecin étranger, qui avait placé ses fonds dans le commerce. Ce médecin, qui n’exerçait plus qu’en amateur, se nommait dom José Mira.

M. de Geldberg, le père, était très-vieux, et surtout considérablement usé par les fatigues d’une existence laborieuse. C’était un de ces hommes industrieux et inquiets qui s’agitent dans la vie, qui s’évertuent, qui se fatiguent et qui ne jouissent point du fruit de leurs efforts. Ces hommes ressemblent à des vers à soie filant le cocon qui doit leur servir de tombe. Ils filent des millions, et leurs héritiers reconnaissants les taillent en marbre au Père-Lachaise.

Il y avait déjà plusieurs années que M. de Geldberg s’était retiré complètement des affaires. Ses enfants et ses associés, qui lui vouaient une sorte de culte, prétendaient que le bon vieillard jouissait avec délices de ce calme heureux qui remplaçait les labeurs de sa vie. Ceci était grandement vraisemblable.

Pourtant il circulait à ce sujet, dans les bureaux et au dehors, des rumeurs vagues qui semblaient mettre en doute la prétendue félicité du vieux banquier.

On disait que s’il était retiré de la vie active, ce n’était pas tout à fait de son plein gré.