Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/262

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An dessert, son émotion était un peu calmée. Denise n’avait plus guère que la moitié de sa rêverie ; le reste se divisait entre une multitude de choses : des épées, un brillant costume de bal, du Champagne qui pétillait dans un long verre, et de grands yeux noirs qui le regardaient en souriant…

Il y avait une sorte de profanation dans ce partage.

Denise, si pure et si aimée, ne pouvait rester longtemps dans l’esprit de Franz en parallèle avec ses songes fous, évoqués de parti pris. Franz écarta de force la pensée de mademoiselle d’Audemer, et fit comme ces superstitieux, demi-pécheurs, demi-dévots, qui voilent l’image sainte de leur chevet, à l’heure de Vénus.

La tête se redressa mutine et cavalière, secouant les boucles blondes de ses cheveux. Il n’avait plus de frein : il se retrouvait dans sa jeunesse indomptée, prêt à courir vers toutes joies, comme à braver tous périls.

En sortant du restaurant, son premier soin fut d’aller chez un costumier de la rue Vivienne, afin de n’être point pris au dépourvu à l’heure du bal.

Parmi la foule des costumes, dessinés selon la tradition antique du carnaval ou inventés par l’imagination inépuisable de Moreau, Franz choisit un habit de page qui avait dû tenter plus d’une gentille lorette.

C’était un costume mignon, où le velours, la soie et l’or se mariaient, sans trop de respect pour les souvenirs de l’histoire, mais avec un merveilleux goût. Pour le porter, il fallait être Franz ou une jolie femme.

Franz l’essaya et se regarda dans la grande glace banale, où viennent se mirer ces soirs-là tant de têtes à l’envers. La glace lui montra une taille fine et hardie, un vrai sourire de page et des yeux à damner un demi-cent de châtelaines.

Le beau Narcisse ne voyait rien assurément de plus joli dans le cristal de sa fontaine mythologique.

Mais Franz aimait trop autrui pour s’adorer lui-même.

La costumière se mit à rire et lui présenta un billet de dame.

— Il faut prendre un masque, dit-elle, vous entrerez pour rien…

Franz acheta un masque.