Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/263

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— Je viendrai m’habilier ici à minuit, dit-il quand il eut remis son pantalon et sa redingote.

La costumière sortit derrière lui pour le regarder, tandis qu’il remontait le trottoir.

Elle avait vu dans la journée tant de courtauds laids et tant de lions hideux, qu’elle éprouvait à se dédommager un plaisir véritable.

Franz traversa la place de la Bourse, et longea le bout de la rue Notre-Dame-des-Victoires, qui conduit au boulevard.

Au coin du boulevard et du faubourg Montmartre, il est un passage étroit, long comme une rue, et devant lequel stationnent d’ordinaire trois ou quatre équipages. Franz s’y engagea et dit quelques mots au concierge, qui lui indiqua le numéro 3 dans la cour.

Il faisait nuit, et le gaz n’est pas prodigue de ses rayons dans le passage. Franz, qui n’y était jamais venu, aurait pu chercher longtemps le numéro 3, si la cloison de planches qui remplaçait les fenêtres d’une salle de rez-de-chaussée n’eût laissé échapper un cliquetis caractéristique.

Franz prêta l’oreille et distingua facilement le grincement des fleurets qui se croisent et le flafla éclatant des sandales.

Il frappa, et, comme on tardait à lui répondre, à cause du bruit qui se faisait à l’intérieur, il entra. Il se trouva dans une chambre de grandeur moyenne, encombrée jusqu’en ses moindres recoins par des gens caparaçonnés de cuir. Quelques-uns seulement gardaient le costume bourgeois et jouaient le rôle de spectateurs.

Franz était dans la salle de Grisier, le maître d’armes littéraire qui a mis des épées entre les mains des fils les plus chéris d’Apollon, le maître heureux, dont les élèves sont des poètes ou des princes, le maître savant qui a donné au fleuret une pensée, et qui a fait entrer l’escrime parmi les arts de l’intelligence.

Franz s’était arrêté timidement à l’entrée du petit couloir qui précède la porte ; il regardait. En ce premier moment la salle lui présentait un aspect de désordre confus où il ne pouvait se reconnaître.

C’était un bruit assourdissant, des conversations croisées, des fers qui se choquaient, des sandales qui détonnaient et le cri vainqueur des champions…