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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/300

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core pour la froideur que vous me montrez maintenant !… J’aurais trop souffert, ma belle Louise, s’il m’avait fallu regretter deux amours !

— Que signifie tout cela ? murmura Petite, qui ne comprenait point.

— C’est l’heure de parler sans détour, reprit Franz en lui pressant la main doucement ; — je sais toute l’étendue de mon bonheur, Madame… Je sais que j’avais le droit d’être bien fier de ma conquête…

Il sentit la main de Sara se roidir dans la sienne.

— Je vous connais, Madame, poursuivit-il en souriant ; — je suis un ancien commis de la maison de Geldberg.

Sara devint pâle comme une morte sous son masque. Elle garda le silence.

— Certes, continua Franz, ce n’était point une bonne fortune ordinaire que d’être l’amant de madame de Laurens !

— Plus bas ! murmura Petite d’une voix étouffée ; plus bas, par pitié !…

— Soyez tranquille, Louise, répondit le jeune homme en secouant la tête avec mélancolie : — votre honneur était en bonnes mains… Mais, alors même que je serais un indiscret, vous n’auriez pas longtemps à craindre.

Le regard de Petite, qui tombait, morne et fixe dans le vide, se releva vivement.

— Je n’ai pas peur de vous, Franz, dit-elle en faisant sa voix caressante ; — je sais bien que vous êtes généreux et bon… mais il ne s’agit pas de moi… vous parlez comme un homme qui n’espère plus… Franz, je vous aime, et vous me faites frémir !… Que m’importe le hasard qui vous a appris mon nom ? Je vous l’aurais dit, si vous me l’aviez demandé, car je suis toute à vous… Mais vous, Franz, qu’avez-vous, et que dois-je craindre pour vous ?…

Franz la regarda d’un air attendri.

Il croyait à tout et ne demandait qu’à aimer. C’était un enfant, toujours prêt à jeter son secret à qui voulait l’entendre. Il ignorait ces graves délicatesses que l’âge enseigne et qui font l’homme.

Il n’avait point frayeur de mourir, mais son duel lui revenait en mémoire, et il était habitué à ne rien cacher de ses expressions.

Son duel l’occupait ; il fallait qu’il parlât de son duel.