Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était un abîme au fond duquel se perdait tout à coup son bonheur.

Il ne restait rien… L’avenir, si radieux la veille encore, se couvrait pour lui d’un voile de deuil.

Hélène ignorait toutes ces choses : il souffrit seul, — il souffrit cruellement et longtemps.

Ses jours se passaient en recherches vaines. Il tâchait de découvrir la retraite de Regnault, mais Regnault voyageait en Angleterre ou en Italie, et faisait danser joyeusement les derniers ducats de la succession du comte Ulrich.

C’était une dure angoisse pour M. d’Audemer, que de montrer sans cesse à sa femme un visage tranquille et serein. Il sentait son cœur plein de larmes, lorsqu’il regardait les jeux du petit Julien, qui souriait, beau de grâce mutine, et faisait briller, tant il était charmant, un rayon d’orgueil dans les doux yeux de sa mère.

Raymond s’échappait la mort dans l’âme ; il errait seul durant des jours entiers, regardant jalousement les mains caleuses des ouvriers de la rue, — ces mains rudes et courageuses qui savent conquérir du pain pour toute une famille !…

Une fois, le front d’Hélène se couvrit d’une rougeur pudique sous son baiser matinier, les yeux baissés, mais le sourire aux lèvres, elle prononça quelques paroles timides. — Que de joie deux mois auparavant, mais que de douleur aujourd’hui, à cette annonce inattendue ! — Hélène allait de nouveau être mère.

Raymond la pressa contre son cœur, et tâcha de répondre en souriant.

Le lendemain, il reçut des nouvelles d’Allemagne, qui lui dénonçaient la présence de Regnault dans les environs de Francfort. — On l’avait vu au château de Bluthaupt, chez le vieux comte Gunther.

Raymond prit le prétexte d’aller enfin recueillir l’héritage du comte Ulrich, et partit sans retard.

Il était arrivé à Francfort le matin même, et il avait grande hâte d’atteindre le schloss, où il comptait que sa sœur Margarethe, à défaut du vieux comte, lui donnerait toute l’assistance possible.