Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/324

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assez fantastiques, de même on s’occupait volontiers de sa petite servante. Le vieillard menait une vie complètement solitaire, et personne au monde ne connaissait ses habitudes ; la petite fille venait on ne savait d’où, elle n’avait point de parents, et, sans la pauvre place qu’elle occupait chez l’usurier, elle n’aurait point eu d’asile.

À part Gertraud, qui lui apportait chaque matin à déjeuner, avant l’arrivée du bonhomme, elle avait pourtant une autre protectrice. Madame Batailleur, marchande de frivolités, au carré du Palais-Royal, l’appelait chaque fois qu’elle passait. Et l’on citait à ce propos un fait bizarre.

Un jour, la petite Galifarde avait été attaquée aux environs du Palais-Royal par son ennemi Geignolet. Il l’avait battue cruellement, et l’aurait assommée cette fois, si elle ne s’était réfugiée dans la boutique de madame Batailleur.

Il y avait chez la marchande une belle dame qui achetait des dentelles.

Nono la Galifarde s’assit dans un coin, essoufflée et tout en larmes. La belle dame la regardait ; elle posa la dentelle sur le petit comptoir, et parla bas à la marchande.

Nono était alors bien plus petite et bien plus faible que maintenant. Elle continua de pleurer dans son coin, durant quelques minutes, puis elle mit sa tête dans sa main et ferma ses yeux fatigués de larmes.

Elle s’endormit.

Voici ce qu’on affirmait : La belle dame s’approcha d’elle tout doucement et resta un instant penchée au-dessus d’elle. Tandis qu’elle la contemplait ainsi, ses yeux avaient des regards émus. Avant de se relever elle baisa au front Nono la Galifarde.

Madame Batailleur déclarait n’avoir point souvenir de cela. Elle ajoutait que si ses voisines Olga, Zéphirine et madame Alfred, s’étaient occupées de leurs affaires, elles n’auraient point vu plus clair qu’elle-même dans sa propre boutique…

Nono pouvait avoir quinze ans ; mais la misère avait retardé sa crue. Elle était grêle, et ses pauvres petits membres montraient leur faiblesse à travers les trous de sa robe d’indienne. Sa poitrine ne se développait point ; ses contours, délicats et à peine indiqués, gracieuse promesse qui sourit déjà chez la vierge adolescente, ne soulevaient point encore l’étoffe affaissée