Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/336

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Jean ne répondit point ; il regardait la bourse d’un air effrayé.

— J’aurais dû craindre cela, murmura-t-il. Oh ! la pauvreté ! la pauvreté !… ce qui est joie pour les autres empoisonne davantage notre souffrance… Gertraud, je vous remercie du fond du cœur, mais votre père est riche en comparaison de nous… Les femmes du marché ne disent-elles pas déjà que c’est par intérêt que je vous aime ?…

— Vous ! s’écria Gertraud indignée, par intérêt !…

— Nous sommes si pauvres !… prononça le joueur d’orgue avec un découragement amer.

Gertraud baissa la tête ; une fois encore elle n’osait plus.

Au bout de quelques secondes, elle releva la tête ; sa physionomie, où souriait d’ordinaire l’espiègle gaieté de l’enfance, avait pris un caractère ferme et presque hautain.

— Jean, poursuivit-elle à voix basse et avec lenteur, je ne sais pas ce que disent les marchandes du Temple… mais si mon père souffrait, et si vous veniez à moi comme je viens à vous, je vous jure, devant Dieu qui nous entend, que je ne refuserais point votre aide…

— Je suis un homme, murmura le joueur d’orgue ; — et vous êtes une jeune fille, Gertraud !…

— Et vous ne voulez rien me devoir ! s’écria celle-ci dans un soudain mouvement de colère, — allez ! vous êtes un orgueilleux !… vous ne m’aimez pas et vous n’aimez pas votre mère !

Jean resta muet devant cette accusation, et l’angoisse de son âme vint se peindre sur son visage.

Gertraud avait pitié ; pourtant elle continua.

— Non, vous ne m’aimez pas !… vous ne songez pas au chagrin que vous me faites !… vous ne songez pas à votre vieille aïeule que vous pourriez sauver !

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !… soupira le pauvre Jean, les mains jointes et prêt à défaillir.

— Vous n’avez point pitié des autres ! reprit encore Gertraud, et vous ne pensez qu’à vous !…

Le joueur d’orgue lui adressa un regard suppliant.

— Écoutez, dit-il, d’une voix entrecoupée : tout ce que vous voulez,