Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/359

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— Comment se porte le joueur d’orgue ? dit-il. C’est un heureux gaillard, et je voudrais presque être à sa place !… Vous êtes plus charmante encore au jour qu’à la lumière, ma jolie petite demoiselle… Oh ! les doux cheveux ! les doux cheveux ! et quel plaisir ce coquin de joueur d’orgue doit avoir à les baiser quand vous lui souriez !

Gertraud mit un doigt sur sa bouche, et montra, de son autre main étendue, la porte ouverte de la chambre du marchand d’habits.

— Le père est là ! dit tout bas Franz, dont le frais visage semblait plus espiègle encore et plus joyeux que la veille ; — il ne sait pas nos petites amours ?… N’ayez pas peur, ma jolie demoiselle, je suis discret comme un sourd et je ne dirai plus rien… D’ailleurs, je vois tout au fond de vos grands yeux noirs que l’indiscrétion même n’aurait rien à dire sur votre compte… Vous êtes bonne et pure autant que jolie, et moi je suis un fou, méchant et bavard, puisque je vous force à baisser les yeux et à rougir.

Il prit la petite main de Gertraud dans les siennes et la porta jusqu’à ses lèvres, avec la grâce hardie qui était dans tous ses mouvements.

— Vous ne vous doutez pas de cela, ma jolie demoiselle, reprit-il d’un accent doux et presque sérieux, — mais je vous aime presque autant que si vous étiez ma sœur… l’amitié me vient vite à moi, comme l’amour… Hier, pendant que votre père était en train de me renvoyer, j’ai vu vos yeux se fixer sur moi… Quelle bonne pitié il y avait dans votre regard !… Je suis sûr que c’est vous qui m’avez porté bonheur… Cette nuit, j’ai pensé à vous deux ou trois fois, et pourtant. Dieu sait que cette nuit j’avais bien des choses à faire !… et, ce matin, quand je me suis cru sur le point de quitter ce monde, votre douce figure est venue me dire adieu, parmi celles que j’aimais.

— Vous avez donc évité le danger qui vous menaçait ? demanda Gertraud, que la surprise et l’émotion avaient rendue muette jusqu’alors.

Franz fronça le sourcil ; puis il éclata de rire.

— Oui, oui, répondit-il, je pourrais avoir beaucoup de duels semblables, et vivre au delà de cent ans… Il y a du bon et du mauvais dans tout cela… ce qui est certain, c’est que je n’y comprends pas grand’chose…

— Et mon père qui attend ! dit Gertraud. Oh ! si vous saviez comme il était inquiet, et comme il m’a fait prier Dieu pour vous !