Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/42

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cet azur limpide et foncé des nuits de tempête. Les étoiles scintillaient éclatantes et semblaient aiguiser leurs rayons.

Les abords de la route qui suivait les sommets de la petite chaîne des montagnes avaient un aspect inculte et sauvage ; c’était une sorte de lande rase où s’élevaient çà et là de grands rochers calcaires, dont les formes fantastiques ressortaient blanches et tranchantes sur le fond obscur d’une forêt de pins. — De temps à autre, un bouquet de chênes rabougris entassait ses troncs noueux et dépouillés avant l’hiver par les ouragans de la montagne. — Puis c’étaient des rideaux de mélèzes, sveltes et droits comme des mâts de navires, qui balançaient à cinquante pieds du sol leur éternelle verdure. — Sur la droite, au-devant du bosquet touffu qui cachait encore le château, on apercevait un champ de forme irrégulière où se groupaient bizarrement des ombres grisâtres.

Un Allemand, passant pour la première fois en ce lieu, eût à coup sûr trouvé au fond de son imagination de poétiques terreurs. — Il eût vu là de blancs fantômes couchés dans les genêts solitaires, et sa frayeur eût animé leur foule immobile.

Il y a tant de spectres toujours dans les cervelles germaniques.

Mais le chevalier de Regnauld n’avait garde. Il réfléchissait et faisait mentalement l’état de ses craintes et de ses espoirs.

Ce champ, situé au midi du schloss et à deux cents pas tout au plus des douves, était l’emplacement de l’ancien bourg de Bluthaupt. Les formes grises, demi-cachêes sous les buissons, étaient des ruines. Il y avait eu là un grand village, — peut-être une ville, au temps où les Bluthaupt étaient comtes souverains de la montagne.

Regnault avait recouvré entièrement sa liberté d’esprit, lorsqu’il s’engagea dans le bois d’érables qui masquait le château de ce côté. En quelques secondes, il atteignit la grande avenue qui descendait par une pente douce le versant occidental de la montagne, et rejoignait la traverse de Heidelberg, à trois cents pas au-dessus de la Hœlle.

Au bout de l’avenue se dressait une masse sombre dont les arêtes dentelées se découpaient sur le ciel éclairé. C’était le schloss de Bluthaupt.

De cet endroit, Regnault dominait toute la campagne environnante, qui semblait sortir de l’ombre, montrant à perte de vue ses grandes prai-