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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/443

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On eût dit qu’il cherchait à voir au fond de sa mémoire, et qu’il rappelait avec effort des souvenirs rebelles.

— Ce doit être un fou !… dit Abel s’adressant à ses deux associés.

— Évidemment, murmura le chevalier de Reinhold avec distraction.

— Le plus simple est de sonner pour le faire mettre dans la rue…

— Sans doute, dit encore le chevalier du bout des lèvres.

D’un mouvement rapide, il se rapprocha du docteur Mira qui était à deux pas en arrière.

— Je crois avoir vu ce visage-là quelque part, murmura-t-il.

— Non pas ce visage-là, répliqua le Portugais dont les yeux étaient baissés, — mais un autre qui lui ressemblait beaucoup, en effet…

— Il doit y avoir longtemps.

— Bien longtemps !

— Aidez-moi donc, docteur !… cela est important pour savoir la contenance qu’il faut prendre, et nous faisons ici de fort ridicules figures.

— Il y a vingt ans, dit tout bas le docteur.

— Du diable si je me souviens !…

— Le vieux Gunther de Bluthaupt…

Le chevalier frappa dans ses mains, et ses traits se rassérénèrent tout à coup.

— C’est pardieu cela ! s’écria-t-il. — Ma foi ! je craignais pis, car il est certain que le vieux comte n’a pas pu ressusciter et rajeunir… ces coquins de hasards vous mettent toujours martel en tête… Eh bien, Abel, reprit-il en se tournant vers son jeune associé, vous avez parlé de sonner et je n’y vois point d’empêchement.

Pendant les deux ou trois secondes qu’avait duré ce rapide entretien du docteur et du chevalier, Rodach était resté sur le seuil, immobile et les bras croisés.

— Je viens de loin, dit-il, à ce moment, — et tout exprès pour vous voir, Messieurs… Je vous préviens que, si vous me faites chasser avant de m’avoir entendu, vous vous en repentirez toute votre vie.

Abel éclata de rire et se dirigea vers la sonnette ; le chevalier voulut rire aussi, mais ce fut de mauvaise grâce. José Mira garda son sérieux mortuaire.