Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/461

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Ces paroles, prononcées avec une énergie soudaine, ramenèrent le sourire aux lèvres du chevalier de Reinhold ; la lugubre figure du docteur Mira lui-même se rasséréna quelque peu.

— Vous nous parlez de bien longtemps, monsieur le baron, dit Reinhold, mais maintenant que j’y pense, il me semble, en effet, avoir ouï conter cette histoire… on vous refusa la jeune comtesse Margarethe pour la donner au vieux Gunther, le sorcier…

Le baron prit cet air de mélancolie grave qu’amènent les douloureux souvenirs évoqués subitement.

— J’étais presque un enfant, murmura-t-il, quand je la vis partir… il me sembla que l’avenir se voilait pour moi… mon sang se glaça… Oh ! oui… Je souffris cruellement, et ce premier malheur a pesé sur toute ma vie… Je quittai l’Allemagne… la vue du château de Rothe me brisait le cœur… Voilà vingt ans que ces choses sont passées, et depuis lors je n’ai pas dormi une fois sous le toit de mon père !

Il y avait un profond accent de vérité dans ces paroles, prononcées avec lenteur et tristesse. Mira poussa un soupir, comme si son esprit eût été déchargé tout à coup d’un lourd poids d’inquiétude ; son front sinistre se dérida ; il eut presque un sourire.

— Eh bien ! monsieur le baron, dit Reinhold qui tendit pour la seconde fois sa main à Rodach avec une explosion de contentement, — voici une circonstance qui nous rapproche plus que dix années d’intimité !… Nous aussi, nous détestons tout ce qui touche à Bluthaupt, et nous avons pour cela nos raisons que vous connaissez en partie !… Mais pour en revenir à ces bâtards maudits, je suis sûr qu’ils font des projets dans leur prison.

— Beaucoup de projets, répondit Rodach.

— Qu’espèrent-ils ?…

— S’évader d’abord.

— Tous les prisonniers en sont là ! dit Abel qui s’habituait à la situation et reprenait son ton de suffisance fade ; — mais voilà douze mois bientôt qu’ils sont sous clef, et cela prouve en faveur des murailles de la prison de Francfort…

— Mais à supposer qu’ils s’évadent… reprit Reinhold.

— Ils ne font point mystère de leurs intentions, répondit Rodach ;