Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/463

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Le baron se tut incontinent.

Un assez long silence suivit. Chacun des trois associés combattait son trouble à sa manière ; une impression pénible pesait sur eux et les affectait à des degrés inégaux. Le jeune de Geldberg aimait beaucoup son père, mais il s’aimait lui-même davantage ; il était le moins difficile à consoler.

Mira, grâce au bénéfice de sa physionomie lugubre, faisait à peine plus triste figure que d’habitude ; la détresse de Reinhold était la plus complète et la plus évidente.

Ils se taisaient tous les trois, et leurs regards baissés semblaient mutuellement se fuir.

En face de ce trouble, dont il était la cause innocente ou volontaire, M. le baron de Rodach restait froid comme un terme. Ses yeux erraient indifférents de l’un à l’autre des associés ; ses traits impassibles ne disaient ni plaisir ni peine.

Au bout de quelques minutes, Reinhold secoua par un visible effort la frayeur qui l’oppressait. En définitive, ce péril annoncé ne pouvait être tout proche, et Reinhold, dont la nature comportait une forte dose d’étourderie, savait être brave devant une menace lointaine.

Il s’agissait de mort, — mais quand ? À supposer que la menace dût se réaliser jamais, les circonstances lui laissaient de la marge.

Il redressa la tête brusquement et s’efforça de rire aux éclats.

— Pardieu ! monsieur le baron, s’écria-t-il, vos renseignements sont de l’espèce la plus funèbre !…

— Vous m’avez interrogé, monsieur de Reinhold, et j’ai cru devoir vous répondre…

— Mille grâces, cher monsieur ! Avant de vous interroger, nous y regarderons à deux fois désormais… Peste ! c’est à ces jolies choses que messieurs les bâtards occupent leurs loisirs là-bas, à la prison !… eh bien, si le hasard veut qu’ils s’évadent, nous serons sur nos gardes !

— C’est pour cela, dit Rodach, que je vous ai prévenus.

— Mille autres fois merci, cher monsieur !… Ma foi, au demeurant, les bâtards pourront trouver leur tâche malaisée. Meinherr Van-Praët est adroit… j’ai vu le temps où le brave Madgyar Yanos aurait fait d’eux six moitiés d’hommes avec son sabre aussi facilement que vous écraseriez