Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/513

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qui souriait. L’enfant était espiègle et semblait attiré vers le mal ; mais quelle mère croit à ces pronostics funestes ?…

Elle voyait l’enfant grandir et dominer ses camarades dans les parties bruyantes qui se jouaient sur la place de la Rotonde ; elle le voyait partir un jour pour le collège ; et comme elle était fière ! c’était le premier Regnault qui mettait le pied au collège !

Dans les échoppes voisines de la sienne, que ne disait-on pas ? Le petit Jacques en savait déjà trop long, et point n’était besoin de lui en apprendre davantage ! Mais la jalousie fait parler…

Mon Dieu ! comme elle se riait en ce temps des méchantes prédictions de l’envie ! L’enfant se corrigera, répétait-elle ; celui qui est trop sage à douze ans devient benêt à vingt et imbécile à trente ; il faut qu’enfance se passe.

Enfance se passa. Jacques devenait joli garçon ; il frisait ses cheveux et serrait sa taille tant qu’il pouvait : c’était le lion du Temple. Au collège, il n’avait pas appris grand’chose, mais il avait fait la connaissance de quelques camarades plus riches que lui, et le père Regnault trouvait déjà de temps en temps de petits déficits dans son comptoir.

Les mauvais jours arrivaient. La pauvre mère voyait le jeune homme indocile rentrer dans la demeure paternelle après l’orgie, et opposer l’insolence railleuse aux reproches du vieux Regnault, qui l’aimait tant !

Elle croyait entendre encore les condoléances triomphantes de ces voisines, qui lui disaient : « Ce n’est pas faute d’avoir été avertie, maman Regnault ! Nous vous avions bien dit que vous auriez du chagrin avec ce garnement-là… »

Que tous ces souvenirs étaient vifs au fond de sa mémoire !…

Puis venait la première blessure portée par le mauvais fils au cœur de sa mère ; la fuite de Jacques avec tout l’argent de la maison ; la maladie et la mort de Regnault le père, et, depuis lors, le malheur, le malheur toujours !…

Et cet enfant qui l’avait si cruellement blessée, cet enfant qui avait étè pour elle et pour sa famille une malédiction vivante, elle le revoyait après plus de vingt ans écoulés !

Vingt ans de misère ! vingt ans de détresse qui était son ouvrage !