Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/517

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Elle souriait comme font les gens heureux en racontant les douleurs passées ; il semblait que sa souffrance était finie, et qu’elle trouvait du bonheur à évoquer les souvenirs de sa détresse.

L’expression du visage de Reinhold changeait lentement ; son trouble s’en allait pour faire place à l’impatience et à la colère.

Ses lèvres serrées n’avaient pas laissé tomber encore une seule parole.

La vieille marchande du Temple ne détachait point de lui ses yeux, et ses yeux voyaient peut-être un fils aimant, que l’émotion et le repentir faisaient silencieux !

Il y avait trente ans qu’elle souffrait. Ses facultés, affaiblies et comme mortes, renaissaient en une sorte de folie douce. Elle rêvait éveillés.

Pendant trente ans, ses nuits sans sommeil avaient eu cette vision heureuse qui séchait ses larmes et lui rendait le paradis au milieu de son martyre.

Pendant trente ans, son insomnie malade lui avait montré son fils à qui étaient toutes ses pensées. Elle avait tant prié Dieu ! Dieu lui devait cette joie implorée. Elle se croyait heureuse.

Mais, au milieu de son prétendu bonheur, une idée sombre vint à passer. Son front se rembrunit et ses yeux se baissèrent.

— Oh ! Jacques ! dit-elle encore d’une voix assourdie, que de jours dans trente ans !… Et pas un seul jour je n’ai omis de prononcer ton nom dans ma prière… Tu nous as fait bien du mal, enfant ; mais ton père t’a pardonné sur son lit de mort, et je t’avais pardonné avant ton père… Tes frères, tes sœurs, tout ce que nous aimions s’en est allé… Le nom de Regnault est écrit sur bien des croix au cimetière !… Mais si tu n’es pas revenu nous plaindre et nous soulager, mon pauvre fils, ce n’est pas mauvais cœur… Oh ! non… c’est que tu ne savais pas !

Reinhold détourna la tête, et prit cet air de résignation qui montre le dépit à son comble.

— Non, non ! murmura la mère Regnault, dont le front devenait de plus en plus triste ; — ce n’est pas cela qui m’a fait le plus de mal… Il y a beaucoup d’Allemands dans le Temple, et je savais que tu avais habité l’Allemagne… Je passais mes jour : à m’informer, à demander, à chercher… Et si tu savais tout ce que l’on m’apprenait, mon pauvre enfant !…