Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/540

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» Ce sont deux grands crimes à punir, n’est-ce pas ? Eh bien, s’il ne s’agissait que de vengeance, je crois que je m’arrêterais. Je ne pourrais point pardonner ; mais je briserais mon épée, laissant au Dieu juste le soin du châtiment…

» Ma tâche est autre. — Il y avait jadis en Allemagne une race puissante, que les assassins de mon père et de ma sœur ont jetée dans la poussière ; cette race, je veux la relever. Avant de vous connaître, tout ce qu’il y a en moi de dévouement et d’amour était à l’héritier uni lue de cette noble famille. Maintenant que je vous aime, Lia, mon cœur est partagé, mais mon dévouement reste entier, et tout le travail de ma vie appartient encore à cet enfant, qui est le fils de ma sœur.

» Longtemps j’ai combattu la passion qui m’entraînait vers vous. Ma conscience me disait qu’aimer était pour moi un crime, et que je n’avais pas le droit de donner mon cœur à une femme, puisque j’étais l’esclave d’un devoir.

» Ce furent de vains efforts et des combats inutiles. Mon cœur était vierge à l’âge où, d’ordinaire, on a de lointains souvenirs d’amour. Il y avait en moi comme un amas de tendresse sans objet ; ce que les autres hommes dépensent en ardeurs folles et en caprices d’un jour, depuis l’adolescence jusqu’à l’âge mûr, je l’avais gardé, comme un avare capitaliste son trésor. Lia, je vous vis ; tout cela fut à vous ; mon cœur s’éveilla, je vous aimais, je vous aimais !…

» Et combien je remercie Dieu de vous avoir jetée sur ma route ! L’enfant dont je me suis fait le père aura en vous une seconde Providence. C’est vous qui me soutenez ; c’est vous qui êtes ma force et mon courage !

» Quand je souffre trop, je vous appelle ; je vois votre visage d’ange qui se penche à mon chevet ; j’entends votre voix chère murmurer de douces paroles…

» Oh ! vous êtes mon espoir ! Sans vous, j’aurais succombé, peut-être, sous le doute qui m’accable ; car mes mains sont liées, hélas ! et, pendant que je m’épuise à vouloir briser ma chaîne, qui sait ce que devient l’héritier des nobles comtes ?

» Vit-il encore ? ses ennemis sont puissants ; peut-être en ce moment où je vous écris, est-il prêt de succomber sous leurs coups !