Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/561

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— Bah ! fit Petite du bout des lèvres, — prenez que le vicomte est votre mari, et vos scrupules s’en iront.

Ces cyniques paroles étaient prononcées d’une voix douce comme miel, et de ce joli ton décent des conversations mondaines.

À voir de loin ces deux charmantes femmes, le calme au front et le sourire aux lèvres, on aurait cru qu’elles s’entretenaient de leur toilette du soir.

— Je ne sais comment vous dire cela, reprit Esther ; mais il est certain que Julien me plaît… D’un autre côté, je ne puis pas me défaire de cette fantaisie qui m’entraîne toujours vers le baron de Rodach… Il ne pense qu’à jouer et à boire ; mais…

— Comment ! interrompit Petite, je ne l’ai jamais vu toucher une carte !

— Il se cachait de vous, peut-être…

— Et je l’ai trouvé toujours singulièrement sobre, pour un fils de Heidelberg… Par exemple, c’était un don Juan intrépide !

— Mais du tout ! s’écria Esther.

— Un duelliste, un coureur d’aventures !

— Je vous jure que vous ne lui auriez pas fait perdre une heure de sommeil pour la plus belle femme du monde !

— Je vous le dépeins tel que je l’ai vu à Hombourg, chère belle.

— Et moi, tel que je l’ai connu à Bade et en Suisse, je pense qu’il n’y a pas deux barons de Rodach !

— Vous l’avez vu hier au bal ; c’était bien le mien.

— Et le mien.

Petite regarda la pendule ; il était cinq heures moins un quart. Elle se leva et mit un baiser sur le front de la comtesse.

— C’est le tien, ma bonne petite sœur, dit-elle ; penses-tu donc que je voudrais être ta rivale ?… Je veux te voir heureuse autant que tu es belle, voilà tout.

Sa main délicate et blanche lissait les cheveux d’Esther avec de caressantes mignardises.

— Je le veux ! poursuivit-elle, entendez-vous bien !… et je vous ferai contente malgré vous !… Ce soir, après le dîner, nous reparlerons de nos