Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/570

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Il s’y tenait à deux mains, pour ainsi dire ; il se criait bien haut à lui-même, quand son cœur ulcéré saignait : Mes vœux sont accomplis, j’ai fait ma famille riche et puissante ; je suis un heureux père !

Et parfois il parvenait à s’aveugler, au point de sourire béatement à ces félicités illusoires…

Il jouait son rôle dans la comédie de famille. Ces respects menteurs qui l’entouraient l’endormaient comme l’enivrement de l’opium.

Mais le réveil était cruel. Il faut la vertu sincère et la droite loyauté pour servir de base à ces saintes joies de la famille. La copie mensongère que le vice en essaie grimace et raille amèrement.

Étendez sur la fange un tapis de velours, la fange le percera, si épais que vous puissiez le faire.

Et une fois le velours percé, la fange n’en paraîtra que plus hideuse parmi le brillant de cette soie…

Mosès Geld avait rêvé l’impossible. Sur l’usure et sur le crime, il avait voulu fonder un avenir qui n’est dû qu’à l’homme juste, dont la vie fut bonne.

Son châtiment commençait ; son espoir fuyait ; il avait vendu son âme, et il n’en recevait point le prix.

À ces heures d’amertume terrible où le bonheur espéré se voilait, où la réalité lui apparaissait comme un sarcasme impitoyable, il revenait vers Ruth, la douce femme qui l’avait aimé pauvre. Ruth l’accueillait et tâchait de lui donner courage. Elle lui tendait à baiser le front de la petite Lia, joli ange, dont au moins le sourire n’était pas un mensonge…

Auprès d’elle, Mosès Geld retrouvait le repos perdu ; il se sentait comme absous vis-à-vis de cette innocence ; l’espoir lui revenait. — Mais, un jour, la pauvre Ruth se coucha sur son lit et ne se releva plus.

Quand elle se sentit tout près d’aller vers Dieu, elle éloigna Lia, qui ne l’avait point quittée, et fit appeler Mosès Geld à son chevet.

— Me voilà qui vais mourir, lui dit-elle ; j’aurais voulu rester ici-bas pour vous consoler et vous soutenir, car je sais que vous souffrez… Mais je ne vous oublierai pas, Mosès, dans l’autre vie, et je prierai pour vous qui m’avez aimée.

Des larmes coulaient sur la joue pâle du vieux juif.