Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/574

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front. Les jours suivants on eût cherché en vain chez elle sa gaieté accoutumée. Pour la première fois, son cœur avait battu à l’aspect d’un homme, et il y avait un souvenir au fond de son âme.

Elle était partie à cheval, de grand matin, pour faire un long voyage à travers champs. Elle avait dépassé les limites ordinaires de ses courses, et, vers midi, elle était arrivée au pied d’une montagne, sur laquelle s’élevait un vieux château, vaste comme une ville.

Aux alentours, il y avait de grands bois et des ruines.

Lia s’arrêta, ravie ; longtemps elle contempla l’antique manoir, dont les tours crénelées se découpaient sur l’azur d’un beau ciel d’été.

Elle ne se souvenait point d’avoir vu jamais un paysage si noble et si fier. Tout ce qui l’entourait parlait de grandeur et de puissance. Devant elle, les débris d’un chemin couvert gravissaient la pente en zig-zag, montrant çà et là leurs meurtrières moussues, et rejoignaient la maîtresse porte du château, où l’on apercevait encore les restes d’un pont-levis.

Un paysan passait.

— Comment se nomme ce château ? lui demanda la jeune fille.

— C’était autrefois le schloss de Bluthaupt, répondit le paysan.

Ce nom frappa l’oreille de Lia comme un vague souvenir. Il lui sembla qu’elle l’avait entendu prononcer dans son enfance. Mais elle avait quitté Paris si jeune ! Et personne, pas même Rachel Muller, ne connaissait les affaires de la maison de Geldberg.

— On lui a donc donné un autre nom ? reprit Lia.

Le paysan fit avec sa tête un signe d’affirmation.

— Comment s’appelle-t-il maintenant ? demanda encore la jeune fille.

Le paysan jeta sur les vieilles tours un regard mélancolique, puis il souleva son chapeau et s’éloigna sans répondre.

Il semblait que sa bouche répugnait à prononcer le nom qui avait remplacé celui de Bluthaupt.

Lia fit le tour de la montagne afin de trouver un chemin praticable pour son cheval.

Comme elle approchait du pied des murailles, elle vit un homme appuyé contre un des arbres de l’avenue, qui regardait le château avec une tristesse sombre. Cet homme avait la taille enveloppée dans les longs plis