Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/610

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— Il y a trois cent mille francs sur Naples, dit-elle ; cinq cent mille francs à mon nom en rentes sur l’État… soixante-dix mille francs sur Rouen… cent quinze sur Orléans… quatre cent cinquante mille…

— Le total ! interrompit Petite, dont les yeux noirs bnllaient.

On était à peine au commencement. Batailleur tourna trois ou quatre pages, chargées de chiffres mal tracés, et arriva au bas d’une colonne, où l’addition était toute faite.

— Cinq millions trois cent cinquante mille francs, dit-elle.

— Comme c’est long à venir ! murmura Petite.

Batailleur joignit les mains.

— Longtemps ! répéta-t-elle d’un air scandalisé : — mais j’ai des années de plus que vous, moi, ma chère madame ! et je n’ai encore pu me ramasser en tout et pour tout qu’une centaine de pauvres mille francs !

Petite ne songea point à s’offenser de la comparaison.

Batailleur avala une bonne gorgée de gloria, et remplaça le vide fait dans sa tasse par une nouvelle dose de liqueur.

— Un peu de doux ?… reprit-elle en offrant la burette à Sara ; — mais faites excuse : vous n’en usez jamais !… moi, d’abord je ne peux pas m’habituer à voir une dame qui ne prend pas sa goutte !…

— Il me semble, dit Sara, que nous avions davantage la dernière fois…

Madame Batailleur se mit à humera petites cuillerées le contenu de sa tasse.

— Chère madame, répondit-elle, vous dites toujours la même chose… si nous ne nous connaissions pas depuis trop longtemps, je croirais que vous avez défiance de moi !

— Fi donc ! s’écria Petite avec un sourire tout aimable ; n’ai-je pas remis mon avenir tout entier entre vos mains ?

— C’est vrai que j’ai joliment des affaires à vous ! répliqua la marchande, et quoique vous ayez pris vos précautions tout de même, vous seriez un peu dérangée si je m’avisais de lever le pied !…

Petite voulut sourire, mais son regard exprima une vague inquiétude.

Batailleur lui frappa sans façon sur l’épaule.

— N’est-ce pas vrai ? reprit-elle avec un gros rire masculin, moi, ça me