Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/640

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ces jeunes mannequins entretenus par les tailleurs, qui encombrent, aux heures fashionnables, le boulevard de Gand, et que les gens de bonne foi prennznt pour des boutures de pairs de France.

— Et ce gros garçon qui cause avec votre femme ? demanda encore Reinhold, en indiquant le neveu Nicolas.

— Ceci est une autre paire de manches, répondit Johann en se redressant avec dignité ; — c’est mon propre neveu ! un enfant élevé comme il faut et qui connaît le prix des sous : ça fera son chemin… mais ce n’est pas moi qui voudrais l’embaucher pour notre besogne, monsieur le chevalier.

— Mais enfin, dit ce dernier, — qui prendre ?

Johann se gratta le front sous sa casquette d’un air sérieusement embarrassé.

— C’est malaisé, grommela-t-il ; si nous étions seulement là-bas, derrière Notre-Dame ou du côté des Gobelins, nous n’aurions qu’à choisir…

— Allons-y, dit Reinhold.

— Allez-y !… Quant à moi, je ne me risque pas si loin de mon établissement… On me connaît dans le Temple, j’y ai mes coudées franches, c’est très-bien ; mais de l’autre côté de l’eau, j’ai ouï dire qu’ils sont enrégimentés et qu’il ne fait pas bon les flairer de trop près, quand on n’a pas le mot de passe.

— Romans que tout cela ! grommela le chevalier.

— C’est bien possible, Bausse, mais le bagne est de l’histoire.

Reinhold fit quelques pas sur le trottoir en frappant du pied avec impatience, puis il revint brusquement vers Johann.

— Je vois bien que l’affaire ne vous va pas, reprit-il. J’en suis fâché, car c’était un joli bénéfice… Il me reste à vous demander le secret. Je vais me pourvoir ailleurs.

— Attendez, dit Johann.

— La chose presse…

La Girafe est un établissement trop bien tenu, il y a d’autres endroits au Temple… Voyez-vous, Bausse, ce n’est pas l’argent qui me tient ; mais je ne voudrais pas vous laisser dans l’embarras… Faisons un tour sur la place de la Rotonde ; je regarderai en passant chez mes confrères, et ça me donnera peut-être des idées.