Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/646

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Vié hâbits ! hâbits ! câlons, vie hâbits… rrrrchand t’hâbits !

Les canons des fusils d’une patrouille sortante résonnèrent au seuil du poste de la rue Percée.

Johann fut ému comme un père qui redoute l’imprudence de son fils.

— Les malheureux, pensait-il, les malheureux… on va me les pincer !

Les deux hommes qu’il appelait Bonnet-Vert et Blaireau s’avançaient toujours, criant et chantant, avec leur paquet sous le bras.

Reinhold avait enfin compris que Johann les guettait comme un gibier, et il demeurait coi, appuyé contre sa colonne.

La patrouille, cependant, arrivait au pas ordinaire ; Bonnet-Vert et Blaireau ne voyaient rien et ne s’inquiétaient de rien.

Ce fut seulement lorsqu’ils atteignirent le seuil des Quatre Fils qu’ils aperçurent la force armée à quelques pas d’eux.

Johann avait la chair de poule.

À la vue des soldats, les deux voleurs s’arrêtèrent un instant et se turent, déconcertés. Mais ils avaient le vin téméraire ; au lieu de s’esquiver, ils se plantèrent sur le seuil, firent tous les deux le salut du guerrier, et entonnèrent avec enthousiasme ce couplet bien connu que l’auteur de la chanson, ancien élève de l’École polytechnique, a dédié à l’armée française :

Pour rester caporal,
Faut être un animal ;
Mais plus d’un animal
Est dev’nu général.
Larifla, etc.

Puis ils disparurent dans la longue et noire allée, en lançant, d’un aigre fausset, le cri classique du carnaval.

Johann tremblait de tous ses membres et avait au front des gouttes de sueur froide.

Le chef de la patrouille, qui portait justement les insignes du grade attaqué, s’arrêta un instant sous la lanterne des Quatre Fils. La question fut sans doute agitée, de savoir si l’on poursuivrait les deux insolents jusque dans le cabaret.

Mais le carnaval a ses privilèges. — La force armée, clémente et magnanime, poursuivit sa route.